« C’est pas mêlant, quand je regarde le générique, j’ai envie de pleurer ! », a lâché Dany Turcotte, devant un café du Petit Dep, lieu prisé de Griffintown.

Ces mots illustrent bien le long et difficile chemin qu’il a dû emprunter pour se rendre jusqu’au film Le dernier placard – Vieillir gai, un documentaire qu’il souhaitait faire depuis de nombreuses années.

Déjà, en août 2018, lors d’une rencontre, il m’avait fait part de son désir de parler de la réalité des personnes LGBTQ+ ayant atteint le « 3e âge » et qui, une fois en résidence, doivent parfois retourner dans le placard. « Ce qui est renversant, c’est que cette génération a lutté pour nous autres, dit-il. Ces hommes et ces femmes ont eu des vies difficiles. C’est une sorte d’hommage qu’on leur rend. »

Ce film, réalisé par Christian Lalumière et pour lequel Dany Turcotte est l’intervieweur, nous présente des hommes qui ont décidé de vivre dans une résidence pour personnes âgées spécialement conçue pour la communauté LGBTQ+, Mireille et ses amies qui vivent à Joliette, Michel et son coloc Gilles, de même que Carole, une transsexuelle qui fut autrefois chef de police (je vous ai déjà parlé d’elle dans une chronique).

Les étapes pour arriver au résultat final furent nombreuses et éprouvantes, vous disais-je. Il y a d’abord eu la pandémie, puis la volte-face d’un diffuseur (RDI) qui a décidé qu’il se dissociait du projet. À travers tout cela, Dany Turcotte cherchait un producteur qui aurait l’audace de porter ce projet à bout de bras. « J’en parlais dans chacune des entrevues que je faisais », dit-il.

Après l’avoir entendu à Y’a du monde à messe, Marie-France Bazzo a levé la main. Son équipe de production et elle ont réuni l’argent nécessaire pour la création de ce film absolument nécessaire. « On va se le dire, il faut avoir des sous de côté pour faire un tel projet. Ça prend tellement de temps que ce n’est pas rentable », ajoute Dany Turcotte.

C’est finalement Radio-Canada qui présentera ce documentaire que tout le monde devrait regarder. Non seulement parce qu’il aborde une réalité méconnue, mais aussi parce qu’il est une sorte d’outil pédagogique, sinon de déniaisage.

On y voit d’ailleurs Julien Rougerie, un membre de la Fondation Émergence, offrir une conférence (Pour que vieillir soit gai) à des gens d’une résidence pour personnes âgées afin de leur faire connaître l’histoire et les luttes des personnes LGBTQ+, mais aussi pour répondre aux questions que certains se posent depuis longtemps au sujet de ceux et celles qui représentent environ 10 % de la population.

Il y a un passage qui m’a littéralement jeté à terre : celui où on apprend que la très grande majorité des résidences pour personnes âgées à qui on offre la présentation de cette conférence refuse d’y donner suite. On répond qu’« il n’y a pas de gens comme ça dans leur résidence ». Et si on insiste un peu, on demande à la Fondation Émergence de ne plus rappeler.

On doit donc passer par le réseau des organismes communautaires pour dénicher ici et là des petits groupes de gens désireux d’en apprendre plus sur cette réalité. « C’est dommage parce que ça serait important que le public en général, mais aussi le personnel des résidences pour personnes âgées, entende parler des personnes LGBTQ+ », se désole Dany Turcotte.

Cette situation mérite d’être dénoncée. Qui sont ces directeurs ou ces « animateurs récréatifs » qui décident ce qui est bon ou pas bon pour les résidants qu’ils représentent ? Qu’on laisse au moins l’équipe de la Fondation Émergence venir sur place. Il appartiendra ensuite aux gens de décider de venir ou pas à la rencontre.

Cette fermeture d’esprit des résidences, l’équipe de tournage l’a aussi connue lorsqu’est venu le temps de recruter des participants pour le film. « On a envoyé un mémo avec ma photo aux résidences, raconte Dany Turcotte. On a eu zéro retour. J’ai aussi contacté tous les gens gais appartenant à cette génération qui font partie de l’UDA. Ils ont tous refusé de participer au film. »

Finalement, c’est notre Janette nationale, une fois de plus, qui a pris le flambeau. Son échange avec Dany Turcotte confirme le rôle prépondérant que cette femme a joué pour combattre les préjugés au sujet de la communauté LGBTQ+.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Dany Turcotte

Le sujet de ce film émane d’une réflexion que Dany Turcotte a eue face à son propre vieillissement. « Quand des gens autour de toi partent ou deviennent malades, tu te mets à penser différemment, dit-il. Comme personne gaie, je me demande si je vais vieillir comme les autres, si je vais être accueilli comme les autres ? »

Dany Turcotte devait interviewer Laurent McCutcheon pour ce film. Celui qui a mis sur pied la Fondation Émergence en 2000 est un mentor pour Dany Turcotte. Il est mort en juillet 2019. « Je devais l’interviewer le lundi, mais il m’a écrit le vendredi pour me dire qu’il allait mourir dans une heure. »

Dany Turcotte n’a pas peur de le dire, il est devenu un véritable militant des droits des personnes LGBTQ+ au cours des dernières années. « Tout cela, c’est grâce à Laurent. J’ai hâte que son mari voie le film. »

Dany Turcotte a beaucoup aimé l’expérience du documentaire. Il a envie d’en faire d’autres. Des sujets comme la réalité des réfugiés sexuels ou les communautés culturelles l’intéressent. « J’ai des idées au frigo, d’autres au congélateur. J’espère les amener sur le poêle bientôt. »

Est-il encore tenté par des projets de télévision « traditionnelle » ? Rien n’est moins sûr.

« J’aime faire de la télévision à temps partiel. Avoir une émission à temps plein, je ne suis pas sûr. De toute façon, je ne pense pas que ça intéresse les producteurs non plus. On est plus dans la jeunesse », dit-il en riant, faisant allusion au récent Gala Les Olivier (l’entrevue a eu lieu le lendemain du gala).

Le dernier placard – Vieillir gai, sur ICI Télé, jeudi 6 avril à 21 h. Le film sera ensuite offert sur ICI Tou.tv.