Combien ? 6 cents le kilowattheure ? Je suis tombé en bas de ma chaise quand j’ai vu le prix que paiera Hydro-Québec pour l’énergie éolienne du projet Apuiat, sur la Côte-Nord.

Seulement 6 cents ? Le chiffre ne dit probablement rien au commun des mortels, mais il représente un moment charnière, au Québec, pour ceux qui suivent un peu l’industrie. Et c’est une excellente nouvelle pour l’environnement.

Depuis toujours, les grands projets éoliens et solaires ont été nettement plus coûteux que l’hydroélectricité au Québec. Ils étaient vus comme des produits qu’il fallait développer à perte, dans l’espoir qu’un de ces jours, le prix allait être compétitif, grâce aux améliorations technologiques. Ou encore pour créer des emplois en région.

Au Québec, cette période d’attente serait longue, étant donné notre très faible coût de production hydroélectrique.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Hydro-Québec paiera 6 cents le kilowattheure pour l’énergie éolienne du projet Apuiat, sur la Côte-Nord.

Or, 25 ans après les débuts de l’éolien, les 6 cents le kilowattheure du projet Apuiat changent la donne.

Le prix est 43 % plus bas que le prix payé par Hydro pour l’énergie achetée aux projets privés précédemment réalisés au Québec (10,6 cents en moyenne), qu’ils soient éoliens, de biomasse ou autres (1).

Et surtout, il est maintenant plus bas que celui du dernier projet hydroélectrique majeur, La Romaine (6,4 cents le kilowattheure).

Et alors ? Le recul signifie que la nouvelle énergie verte devient rentable à produire, même au Québec. Elle est moins coûteuse que celle des nouveaux projets hydroélectriques et elle s’approche rapidement du coût de l’énergie fossile, comme le gaz naturel, qui revient entre 4,3 et 6 cents le kilowattheure.

Oui, mais en moyenne, me diront les plus futés, notre hydroélectricité continue de coûter nettement moins cher à produire que ces 6 cents, non ?

Effectivement, le coût de production moyen de l’ensemble des centrales d’Hydro, construites à une autre époque et sur des rivières extraordinaires, demeure beaucoup moins élevé. En moyenne, c’est 2 cents, m’indique Hydro, ce qui est ridiculement bas.

Mais ce qui compte pour juger de la rentabilité des nouveaux projets, ce n’est pas la comparaison avec le coût moyen, mais avec le coût marginal, celui de la dernière centrale, dans ce cas-ci La Romaine.

Nos gros surplus ?

Oui, mais monsieur Vailles, n’avons-nous pas d’énormes surplus ? Pourquoi en ajouter, d’autant que si on paie 6 cents pour la nouvelle énergie, elle fera augmenter le prix moyen ? (2)

Eh bien voilà, Hydro-Québec a récemment conclu une méga-entente de 20 ans avec le Massachusetts, de l’ordre de 10 TWh par année. Tous les permis sont en règle aux États-Unis, me confirme Hydro-Québec, tous les papiers sont signés.

Ce n’est pas tout. Il y a de bonnes chances que notre société d’État fasse de même avec l’État de New York pour des quantités semblables. Le processus d’appels d’offres débute dans une semaine, le 16 février.

En résumé, avec ces deux contrats, c’est 2,5 fois La Romaine qui est en jeu !

La première année du contrat, le Massachusetts paiera l’équivalent de 6,5 cents le kilowattheure (5,15 cents US) et une moyenne de 8,35 cents sur 20 ans (6,6 cents US).

Bref, désormais, l’énergie éolienne du Québec ne sera pas produite à perte, mais à un coût (6 cents) inférieur au prix que paieront les nouveaux clients d’Hydro, ce qui change la donne.

Et encore, le contrat avec Apuiat a été conclu de gré à gré. Le prix du prochain contrat sera vraisemblablement plus bas dans le cadre d’un appel d’offres concurrentiel.

Ailleurs dans le monde

Ce changement de paradigme, il se vit encore bien davantage ailleurs qu’au Québec. Parlez-en à Michel Letellier, président de la firme Innergex, de Longueuil, qui a des projets éoliens, solaires ou hydroélectriques dans six États américains, de même qu’en France et au Chili, en plus du Canada, totalisant 8 TWh.

Le projet éolien Foard City de l’entreprise, au Texas, a été vendu à un prix d’environ 4,5 cents le kilowattheure. Et en Alberta, où il y a de bons vents et des terrains plats, le prix est descendu aux environs de 3,5 à 4,0 cents (Innergex n’a pas de projets en Alberta), soit plus bas que bien des projets gaziers.

« C’est très encourageant pour l’environnement », me dit M. Letellier au téléphone.

Diverses raisons expliquent le revirement de situation. L’éolien et le solaire ont bénéficié de progrès technologiques importants ces dernières années, avec des tours plus hautes et des unités plus résistantes et plus performantes, permettant d’amortir les projets sur 30 ans au lieu de 25, par exemple.

À cela s’ajoute notamment la baisse des coûts de financement des projets.

Pendant ce temps, l’hydroélectricité vit l’inverse. Les turbines, qui représentent 20 % de la facture, ne progressent plus beaucoup, et le reste (béton, routes, main-d’œuvre, etc.) subit des pressions inflationnistes.

Oui, mais monsieur Vailles, si l’éolien est si intéressant, pourquoi les Américains veulent notre électricité ?

Pour deux raisons, essentiellement. D’abord, notre énergie verte est stable et garantie à long terme. L’éolien est intéressant, mais sujet à de grandes variations, au gré des vents, ce qui oblige les acheteurs à trouver une source alternative pour combler les trous, comme le gaz naturel, pas très vert.

Hydro-Québec n’a pas ce problème, pouvant faire varier le niveau d’eau de ses barrages pour s’ajuster aux fluctuations de ses achats éoliens.

Deuxièmement, la Nouvelle-Angleterre n’a généralement pas aussi facilement accès à des projets éoliens ou solaires peu coûteux, comme dans le sud des États-Unis.

En résumé, le prix de 6 cents le kilowattheure change la donne. Au Québec comme ailleurs, on pourrait dire que c’est le début d’un temps nouveau, comme le chantait Renée Claude…

1. Je fais référence aux approvisionnements appelés post-patrimoniaux. Tous les prix de ce texte excluent le coût de transport.

2. Les surplus sont estimés à 40 TWh, mais Hydro-Québec exporte 85 % de cette énergie sur le marché de court terme (spot) à un prix de 4,3 cents le kilowattheure (prix de 2019).