L’annonce du départ de Michel Bissonnette, vice-président principal des services français de Radio-Canada, a semé une véritable onde de choc dans la nouvelle Maison de Radio-Canada de l’avenue Papineau.

Cette nouvelle, qui a pris tous les employés de court – eux qui s’attendent à vivre d’importantes compressions budgétaires –, suscite un important lot d’inquiétudes.

Et d’interrogations.

Le retrait de Michel Bissonnette, aussi subit que mystérieux, n’est pas seulement celui d’un dirigeant, mais d’un allié qui a su montrer qu’il pouvait rester debout pour défendre les intérêts des journalistes et de la liberté d’expression.

Michel Bissonnette a-t-il vraiment démissionné de son plein gré ou a-t-il été invité à démissionner ? C’est la question que tout le monde se pose depuis que la chose a été ébruitée lundi soir par Le Soleil et La Presse avant d’être confirmée mardi matin par le bureau de Catherine Tait, PDG de CBC/Radio-Canada.

La note envoyée aux employés ne nous permet pas de voir plus clair. On peut y lire qu’il s’agissait « d’une décision prise après mûre réflexion » et à la suite de « discussions qui ont mené à une entente entre nous ».

Une entente ?

Quand une personne qui joue un rôle aussi important que Michel Bissonnette au sein d’une institution publique prend la décision de partir à cause de divergences décisionnelles, de motifs idéologiques ou pour des raisons personnelles, elle part. Il n’y a pas d’entente à prendre.

Des sources m’ont confié que cette décision, prise récemment, n’est pas celle de Michel Bissonnette, et qu’il quitte la société d’État avec une amertume certaine.

Il est connu que la position adoptée par la haute direction de CBC/Radio-Canada dans l’affaire du « mot qui commence par N » a créé un fossé entre une majorité de francophones de Radio-Canada et d’anglophones de la CBC. Michel Bissonnette s’est retrouvé au bord de ce fossé.

Blâmé par le CRTC à la suite d’une chronique diffusée à l’émission 15-18 en août 2020 au cours de laquelle l’essai Nègres blancs d’Amérique a été cité (pour des raisons justifiées) quatre fois, CBC∕Radio-Canada a présenté ses excuses, mais a du même coup fait appel de la décision dans le but de montrer que ce n’est pas au CRTC d’entériner des positions qui relèvent des patrons des salles de rédaction.

Au cours de cette affaire, j’ai appris que l’idée de contester le blâme a été menée par des dirigeants francophones de la société d’État. La chose m’a été confirmée par Michel Bissonnette lors d’un long entretien que j’ai eu avec lui en septembre 2022.

Cette différence de point de vue est devenue l’évidence même pour le vice-président. « J’ai senti que c’était quelque chose qui pouvait être vécu différemment entre les anglophones au Canada et les francophones du Québec », m’a-t-il dit.

Il a aussi ajouté qu’il y avait une perception du côté de la CBC que le « mot qui commence par N » était utilisé sans discernement par les animateurs et chroniqueurs francophones, alors que ce n’est absolument pas le cas.

Michel Bissonnette et ses acolytes ont eu raison de contester la décision du CRTC, car la Cour d’appel fédérale l’a annulée en juin dernier tout en écrivant que « le CRTC a excédé sa compétence et a commis des erreurs de droit ».

L’annonce du départ de Michel Bissonnette est d’autant plus étonnante que depuis quelques mois, des personnes influentes m’ont soufflé à l’oreille qu’il pourrait (et devrait) être un excellent candidat pour succéder à Catherine Tait.

Je partage entièrement ce point de vue. Avec sa grande expérience de l’industrie télévisuelle (il a cofondé Zone 3) et la qualité qu’il possède de bien s’entourer, je crois qu’il aurait fait un excellent président.

Depuis son arrivée à Radio-Canada, en janvier 2017, les cotes d’écoute des radios ICI Première et ICI Musique n’ont cessé de monter en flèche. Quant à la télévision, les succès sont également là. Dans son rapport annuel 2022-2023, le Fonds des médias du Canada publiait la liste des émissions qui ont franchi la barre du million de téléspectateurs au cours de la dernière année.

Alors que seulement deux productions canadiennes anglophones ont réussi cet exploit (oui, vous avez bien lu), 29 émissions produites en français atteignent cet objectif. De ce nombre, 14 sont des productions diffusées à Radio-Canada.

Ce calcul basé sur les cotes d’écoute peut paraître anodin. Mais l’énorme succès des émissions françaises est au cœur d’un vieux débat sur le partage du financement accordé aux productions pour l’ensemble du pays. Cela est bon pour le Fonds des médias, pour Téléfilm Canada, mais aussi pour CBC/Radio-Canada, dont le budget est ainsi divisé : 55 % à CBC et 45 % à Radio-Canada.

Ce facteur devrait également être pris en considération lorsque vient le temps de procéder à des compressions budgétaires.

Justement, j’arrive à ce sujet.

À l’instar d’autres sociétés d’État fédérales, CBC/Radio-Canada devrait, à moins d’un revirement de situation, réduire ses dépenses à partir de l’année prochaine. Cette réalité est attribuable à la baisse des revenus publicitaires et d’abonnement.

L’application de ces compressions pourrait faire partie des raisons qui expliquent le départ de Michel Bissonnette. Le vice-président était-il d’accord avec les décisions qu’on s’apprête à prendre et les moyens qu’on souhaite utiliser pour réaliser ces coupes ?

Aucun grand dirigeant n’aime faire ce genre d’opération quand elle n’est pas conforme à ses idées et à sa vision.

Encore là, il faut se tenir debout.