La vente d’articles de contrefaçon n’est plus seulement l’apanage des vendeurs itinérants ou des sites de revente. Le phénomène du marché du toc, de plus en plus en plus « normalisé », s’est frayé un chemin jusque dans une succursale de Jean Coutu où de faux sacs Louis Vuitton et Fendi se sont retrouvés dans les étalages. Un acte illégal, confirment les experts consultés par La Presse.

En entrant dans la pharmacie située rue Sherbrooke Est à Tétreaultville, un quartier de Montréal, impossible de les manquer : un grand sac noir arborant le nom et ce qui s’apparente au logo de Louis Vuitton est accroché au milieu d’autres sacs à main, dont un à l’effigie de Fendi, autre marque de luxe de plus en plus prisée. Un peu plus loin, ce sont des portefeuilles signés COACH que l’on a mis en vente.

Sur le site de la prestigieuse maison française, un sac Louis Vuitton de format semblable peut se vendre jusqu’à 4000 $. Chez Jean Coutu ? 19,99 $. Il était à l’origine 34,99 $, nous a informés la caissière en scannant le code-barre puisqu’il n’y avait aucune étiquette de prix sur le sac.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Les faux articles se sont retrouvés à deux reprises sur le plancher du magasin.

Les portefeuilles COACH affichés 20 $ sont normalement vendus plus de 200 $. Nul besoin d’avoir l’œil expert pour savoir que les produits griffés en vente dans cette pharmacie étaient des faux. La qualité et le prix ne laissaient planer aucun doute. Peu de temps après notre passage, les articles en question ont été retirés du magasin, a confirmé Catherine Latendresse, cheffe des communications chez Jean Coutu.

La vente de reproductions contrevient à la Loi sur les marques de commerces, ont tous affirmé les experts en droit d’auteur consultés. Elle est passible d’une amende maximale d’un million de dollars ou de peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans, peut-on lire sur le site du gouvernement du Canada.

Mme Latendresse assure que l’achat de ces articles n’a pas été effectué par le siège social. Une partie de la marchandise en magasin peut être sélectionnée par les responsables de chaque succursale. Aucun autre des Jean Coutu visités par La Presse n’offrait d’items de contrefaçon. Interrogée, la copropriétaire de la pharmacie de Tétreaultville Rose Carmen Décembre ne semblait pas être au courant de la situation, renvoyant la balle à sa gérante. C’est finalement la cheffe cosméticienne qui a répondu à nos questions.

« Il y avait une boîte en arrière qui contenait des articles qui ne devaient pas être placés. C’était pour moi, pour faire des cadeaux. Ce sont des trucs que j’avais achetés. Probablement que l’une des filles les a placés pendant mon absence », a-t-elle expliqué en refusant de donner son identité.

Or, Catherine Latendresse affirme que ces articles s’étaient retrouvés dans les étalages il y a quelques mois pour ensuite être retirés. Leur retour pour la deuxième fois sur le plancher est une « erreur », assure-t-elle. « Quand on constate ce genre de situation, on agit. » Elle a tenu à dire qu’il s’agissait d’un cas isolé.

Par ailleurs, en ligne, sur des sites comme Marketplace et Kijiji où les offres pullulent, il est plus facile de se faire prendre, puisque les photos peuvent parfois induire même les plus grands connaisseurs de la mode en erreur.

L’annonce d’un sac Louis Vuitton neuf à 260 $ a toutefois déclenché le fou rire de Natasha Currie, propriétaire de la boutique GoldFringe, qui vend des articles de luxe usagés, authentifiés. « C’est certain que c’est un faux », assure-t-elle. Un sac Louis Vuitton de seconde main peut valoir jusque 2500 $, indique Mme Currie.

Acheter du faux en toute connaissance de cause

Selon elle, le phénomène de la vente de contrefaçon prend de l’ampleur en ligne. Charlotte Cayla, copropriétaire de Ruse Boutique, note également un engouement de la part de jeunes intéressés par les articles de contrefaçon, faute de moyens pour se procurer les vraies marques. « Ils n’ont pas les moyens, mais ils veulent quand même avoir le look. »

« Il y a cette normalisation maintenant de la contrefaçon », ajoute pour sa part MAisha Tohry, spécialiste en droit des industries créatives.

Il y a un courant sur les réseaux sociaux où l’on fait la promotion d’items de contrefaçon. Les gens en achètent même s’ils savent que c’est de la contrefaçon.

MAisha Tohry, spécialiste en droit des industries créatives

Des sites internet font même des palmarès des articles de contrefaçon les plus réussis.

Le cas de Jean Coutu, une surprise

« Dans des magasins physiques, on voit beaucoup moins de contrefaçon », admet néanmoins MTohry. Comme tous les experts interrogés, elle n’a pas caché sa surprise en apprenant la présence de faux sacs Louis Vuitton et Fendi dans une enseigne comme Jean Coutu.

« Ça me surprend qu’une chaîne de cette réputation-là ait ce type de produit là », soutient également Ysolde Gendreau, professeure à la faculté de droit de l’Université de Montréal.

« La marque existe pour donner une indication de la provenance du produit », ajoute-t-elle.

On n’a pas le droit d’avoir une marque qui donne l’impression que le produit vient d’une source alors qu’en réalité il vient d’une autre. Un faux Vuitton à 400 $ apparaît plus problématique qu’un faux Vuitton à 20 $. Mais ça ne veut pas dire que les faux à 20 $ sont légitimes.

Ysolde Gendreau, professeure à la faculté de droit de l’Université de Montréal

Elle rappelle que Louis Vuitton dépense chaque année des sommes astronomiques pour tenter de lutter contre ce fléau.

« Pour les contrefacteurs, il n’y a ni savoir-faire ni exigence de qualité dans la fabrication des copies d’articles Louis Vuitton, peut-on lire sur le site de la maison française. Il n’est pas question de cuirs sans défauts, de composants métalliques de haute qualité, de finitions parfaites, de contrôles de qualité systématiques, à tous les niveaux de la fabrication. La finalité de ces copies est de faire illusion lors de leur achat. Seuls les articles Louis Vuitton sont produits avec le soin et le savoir-faire que ses clients méritent. »

« Les articles Louis Vuitton authentiques sont uniquement vendus dans les boutiques Louis Vuitton [et] sur son site officiel. »

Récemment, l’entreprise canadienne Lululemon, pour contrer la vente sur Amazon de leggings copiés sur ses modèles, a offert aux clients d’échanger gratuitement l’article plagié contre un original.

« C’est dommage, mentionne Marie-Eve Faust, professeure à l’École supérieure de mode de l’ESG UQAM, en faisant référence au marché de la contrefaçon. Ce n’est pas une chaîne de production qui est adéquate. Chez Jean Coutu, c’est certainement quelqu’un qui a fait un faux pas. Leurs parfums de qualité, ils sont vendus au même prix qu’ailleurs, cite-t-elle comme exemple. Vous n’allez pas trouver un Chanel à 19,99 $. »