Le message est tombé dans ma boîte de courriels à 22 h 51, lundi. Il s’intitulait « Un cas isolé – La suite ». Partagée entre la colère et l’angoisse, Isabelle Reid l’avait pianoté sur son cellulaire, dans une chambre du CHU Sainte-Justine.

Alité près d’elle : Hugo, son fils aîné, âgé de 7 ans. Sous haute observation médicale.

Fin septembre, je vous ai raconté l’histoire d’Isabelle Reid et de son garçon. L’école Saint-Émile, dans le quartier Rosemont à Montréal, venait de fermer ses portes en raison d’une éclosion majeure de COVID-19.

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L’affaire avait fait les manchettes. Des parents soupçonnaient l’enseignante d’arts plastiques d’avoir propagé le virus. La prof encourageait les élèves à retirer leur masque en classe. Elle-même ne le portait pas. Sa page Facebook débordait de délires conspirationnistes et de propos antivaccins.

Un cas isolé, m’avait-on assuré au gouvernement.

Des élèves avaient été infectés dans 11 des 12 classes de l’école. Hugo était du nombre. Pas trop de symptômes, mais toute sa famille a dû s’isoler pendant deux semaines.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Isabelle Reid, mère du petit Hugo, 7 ans

« C’est un cas isolé, mais qui finit par isoler pas mal trop de monde », avait ironisé Isabelle Reid.

Elle ne pensait jamais devoir écrire la suite.

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Pendant un mois, Hugo s’est bien porté. Vendredi soir, il a confié à sa mère qu’il ne mangerait pas de bonbons à l’Halloween, parce qu’il avait mal au ventre. Avec des amis, il en avait déjà trop mangé. « Je trouvais ça mignon », raconte-t-elle.

Samedi, la fièvre a commencé. Dimanche, elle a continué, malgré les Advil. Isabelle se disait que ça ne pouvait tout de même pas être la COVID-19, un mois plus tard. Lundi, à 6 h 15, le thermomètre dépassait les 40 degrés. Direction Sainte-Justine.

PHOTO FOURNIE PAR ISABELLE REID

Hugo, 7 ans, dans son lit au CHU Sainte-Justine

Là-bas, l’état d’Hugo s’est dégradé. Éruption de boutons, lèvres foncées, paupières mauves, yeux rouges.

Et, surtout, tension artérielle très basse.

Hugo a passé une batterie de tests. Enfin, le diagnostic est tombé : c’était le PIMS, ou syndrome inflammatoire multisystémique pédiatrique. Une maladie liée à la COVID-19 qui touche les enfants âgés de 4 à 11 ans. Les symptômes se déclarent plusieurs semaines après l’infection.

« Ton corps et ton système immunitaire ne sont pas contents d’avoir eu la maladie », a expliqué l’immunologue en chef de Sainte-Justine à Hugo.

Dans la nuit de lundi à mardi, l’enfant a été transféré à l’unité des soins intensifs. Sa tension artérielle était trop basse. Ses artères coronariennes étaient dilatées. Le cœur était touché.

Celui d’Isabelle a failli lâcher.

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Le ministre de la Santé a annoncé mardi la fin du télétravail et du port du masque obligatoire pour les élèves du secondaire, ainsi que le retour de la danse et du karaoké.

La semaine dernière, il avait annoncé que la vaccination ne serait pas obligatoire pour le personnel scolaire.

Il flotte un air de fin de pandémie au Québec.

Mais pas pour Isabelle Reid.

Mardi, pendant que les gens écoutaient le point de presse du ministre, elle écoutait les consignes des médecins. Après l’immunologue, le cardiologue est passé. Hugo s’en sortira, c’est la bonne nouvelle.

Il répond bien aux traitements. Il est toujours à Sainte-Justine, mais a reçu son congé des soins intensifs.

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En septembre, Isabelle Reid avait livré un plaidoyer convaincant pour la vaccination obligatoire dans les écoles primaires. Elle n’a pas changé d’idée.

Au Québec, tout le monde doit être vacciné pour manger au resto, pour s’entraîner au gym, pour aller au cinéma. Mais dans les écoles primaires, où s’entassent chaque jour des centaines d’enfants non vaccinés, tout le monde fait ce qu’il veut.

Environ 90 % du personnel scolaire est vacciné. Ça laisse un employé sur dix pour infecter ces enfants qui n’ont rien demandé. C’est trop, dit Isabelle.

Le ministère de la Santé affirme s’appuyer sur une recommandation de la Santé publique et sur la situation épidémiologique qui s’améliore au Québec. « Les conséquences de la COVID-19 chez les enfants sont plus faibles et les éclosions sont bien contrôlées en milieu scolaire », lit-on dans le communiqué.

Ça lui fait une belle jambe, ça, à Isabelle.

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Alors que Santé Canada s’apprête à donner le feu vert à la vaccination des enfants âgés de 5 à 11 ans, la jeune maman a un message pour tout parent qui hésite. « Cher parent, attention et écoute bien mon histoire… »

« Je veux te dire, cher parent, que si ton enfant contracte la COVID-19, tu as 1 chance sur 2000 de te retrouver dans ma situation. » C’est le chiffre que lui a donné l’immunologue de Sainte-Justine.

C’est pas mal plus élevé que les chances de remporter le gros lot du 6/49.

Ou de tomber malade, quand on est pleinement vacciné.

C’est vrai, les enfants souffrent moins de la COVID-19 que les adultes. Mais ce n’est pas ça, l’important. L’important, c’est de se rappeler que les enfants peuvent contracter le virus. Ils peuvent même, dans de rares cas, en mourir.

Et le vaccin peut empêcher ça.

Il est sûr. Efficace. Les données, vérifiées et contrevérifiées par une armée de scientifiques, le prouvent. Les avantages l’emportent largement sur les inconvénients. Il n’y a pas à hésiter.

Isabelle Reid, en tout cas, sera la première dans la file pour faire vacciner Alexis, 5 ans. Pas question de lui laisser courir le risque de subir le même sort que son grand frère.

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L’enseignante d’arts plastiques n’a pas remis les pieds à l’école Saint-Émile depuis l’éclosion de septembre. Les parents ignorent si elle a subi des sanctions.

La direction de l’école et le centre de services scolaire de Montréal ne peuvent commenter le dossier de l’employée, puisqu’il s’agit d’informations confidentielles.

L’enseignante continue de diffuser des publications complotistes et antivaccins sur sa page Facebook. Pas plus tard que le 28 octobre, elle a relayé une invitation à manifester contre les mesures sanitaires à Montréal…

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Si Isabelle Reid raconte son histoire, c’est pour convaincre les parents que « c’est grave, cette maladie ».

Même si la situation épidémiologique s’améliore, même si les masques vont bientôt tomber à l’école secondaire, même si les karaokés vont reprendre du service… ça n’est pas fini. Pas encore.

Cloué à son lit de Sainte-Justine, Hugo en est la preuve.

« Je dois être une exception. Je dois être juste une statistique. Mon fils et moi ne valons pas grand-chose, finalement, car on se souviendra que je suis un cas isolé », lâche Isabelle Reid.

Un cas isolé qui devra donner de l’aspirine pendant les trois prochains mois à son enfant pour rétablir son cœur affaibli par ce syndrome encore mal connu. Un cas isolé qui angoisse à l’idée que d’autres complications se développent.

« Moi aussi, quand il y a eu une éclosion à l’école, je me suis dit que ça ne nous arriverait pas, ça arrive juste aux autres, dit-elle. Mais ça nous est tombé dessus quand même. »

Après ça, elle aurait pu se croire immunisée contre la malchance. Mais non.

« Jamais ça ne m’a effleuré l’esprit qu’Hugo souffrirait d’un syndrome post-COVID, car des histoires épouvantables comme ça, ça arrive vraiment, mais vraiment juste aux autres. »