(Québec) La Cour supérieure donne en partie raison aux universités McGill et Concordia dans leur bataille contre le gouvernement Legault. La hausse des droits de scolarité imposée aux étudiants provenant des autres provinces canadiennes est jugée déraisonnable. Tout comme l’obligation imposée aux deux universités de franciser 80 % de ces étudiants et ceux de l’étranger sous peine de perdre leurs subventions.
Selon le juge Éric Dufour, la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, et le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, « défendent le français, en vertu de leurs responsabilités ministérielles législatives ». « Mais leurs décisions ne sauraient prendre appui sur des fausses prémisses, comme c’est le cas » pour ces deux mesures « dont la plupart des motifs mis de l’avant par la ministre ne trouvent aucun appui dans la preuve ».

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE
La ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry
En décembre 2023, Pascale Déry a décidé de faire passer de 9000 $ à 12 000 $ par année les droits de scolarité pour les étudiants canadiens non résidents du Québec (CNRQ) à compter de l’automne 2024.
« La ministre dit justifier l’augmentation du montant forfaitaire payable par les étudiants CNRQ et l’intention de mettre fin à un financement généreux de leurs études au Québec, par le fait qu’ils quittent la province à la fin de leurs études et par leur participation au déclin du français. Ces prémisses s’avèrent non fondées », écrit le juge Éric Dufour.
Il soulève une contradiction dans les règles budgétaires de la ministre. Il y est écrit que depuis près de 30 ans, « les étudiants CNRQ paient des droits de scolarité globalement comparables à ceux en vigueur dans les universités ailleurs au Canada ». Or, avec la nouvelle tarification, « les droits de scolarité pour certains programmes sont nettement supérieurs à ceux exigés par les universités canadiennes pour les mêmes programmes d’études, et rendent les universités anglophones du Québec moins accessibles ».
La hausse des droits de scolarité continuera de s’appliquer malgré le jugement « et ce, jusqu’à la prochaine modification qu’apportera la ministre de l’Enseignement supérieur en fonction du présent jugement dans un délai maximal de neuf (9) mois à compter d’aujourd’hui ».
Dans ses nouvelles règles budgétaires, la ministre Déry a également imposé à McGill et Concordia que 80 % des nouveaux étudiants CNRQ et internationaux inscrits dans un programme d’études en anglais atteignent le niveau 5 à l’oral selon l’échelle québécoise des niveaux de compétence en français, au terme de leur programme de 1er cycle. Le niveau 5 est un niveau intermédiaire sur cette échelle qui en comprend 12. Si l’objectif n’est pas atteint, des pénalités sont prévues allant jusqu’au retrait total des subventions.
« La ministre explique (cette mesure) par la nécessité de mieux intégrer les étudiants non québécois de 1er cycle à notre société et à freiner l’érosion du français. Ici encore, la pauvreté de la preuve, pour ne pas dire son absence, ne permet pas de donner raison (au gouvernement) sur ce point », estime le juge Dufour. « Aucune donnée objective n’a donc servi de base à la décision de la ministre de conditionner le financement des universités anglophones à l’acquisition de compétences en français par 80 % de leurs étudiants hors Québec. »
« En raison de sa grande difficulté à la respecter, de l’absence de données fiables existantes à cet égard et de l’importance de la pénalité potentielle, (cette règle budgétaire) s’avère déraisonnable », conclut le magistrat.
La règle « cesse d’avoir effet immédiatement » en vertu de la décision de la cour. Le juge Dufour ne remet pas en question la nouvelle tarification qui s’applique aux étudiants étrangers.
Pascale Déry n’a pas voulu commenter la décision. Son porte-parole s’est limité à dire que le gouvernement l’étudie.
McGill et Concordia avaient lancé chacune une poursuite contre le gouvernement en février 2024. Elles invoquaient notamment les chartes canadienne et québécoise des droits, alléguant que la nouvelle politique de la ministre Déry est discriminatoire. Le juge a adopté une « attitude prudente de réserve » à cet égard.