Jean Boulet s’est « disqualifié » comme ministre de l’Immigration après avoir déclaré que 80 % des nouveaux arrivants ne travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs, a soutenu mercredi François Legault. Or le chef caquiste a lui-même alimenté une controverse sur l’immigration, en affirmant que « ce serait un peu suicidaire » d’accueillir plus de 50 000 nouveaux arrivants par année.

« 80 % des immigrants s’en vont à Montréal, travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise. La clé, c’est la régionalisation et la francisation », a affirmé le ministre Boulet mercredi dernier, sur les ondes d’ICI Mauricie–Centre-du-Québec, lors d’un débat électoral. Ses propos, qui ont refait surface une semaine plus tard, ont rapidement choqué.

« Les immigrants, les seuils, c’est un débat purement académique. Il faut s’assurer de bien les intégrer », avait aussi fait valoir M. Boulet. Ce dernier soutenait alors que le Québec fait face à deux défis en immigration : « un [qui est économique], lié à la pénurie de main-d’œuvre, et un de vitalité de la langue ».

Dans les faits, la part des immigrants arrivant à Montréal a diminué depuis 20 ans. Elle est passée de 76 % en 2001 à 65 % l’an dernier. Si on inclut l’ensemble du Grand Montréal, toutefois, ce chiffre est de 82,6 %. La part des immigrants allant dans les couronnes est passée de 10 % à 17 % durant cette même période. Dans le reste du Québec, c’est passé de 14 % à 17 %.

Qui plus est, le taux d’emploi des immigrants établis à Montréal était de 62,2 %, contre 63,3 % pour les gens nés au Canada et résidant sur l’île, selon les plus récentes données de Statistique Canada en la matière.

Selon l’agence fédérale, 80,6 % des immigrants établis au Québec sont en mesure d’avoir une conversation en français. En fait, les deux tiers des immigrants disent utiliser davantage le français que l’anglais dans leurs conversations quotidiennes. Il convient toutefois de noter que ces dernières données datent de 2016, puisque les données du recensement de 2021 sur l’immigration ne paraîtront qu’en octobre.

« Une grave erreur »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

François Legault

Même si Jean Boulet s’est excusé pour ses propos, François Legault a affirmé qu’il s’est « disqualifié » comme ministre de l’Immigration lors d’entrevues à LCN et Radio-Canada – une question à laquelle il n’avait pas répondu en conférence de presse. Il ne peut plus occuper ce poste « pour une question de perception et de confiance ». Il le garde toutefois comme candidat.

« Jean a fait une grave erreur. Ce n’est pas vrai ce qu’il a dit. M. Boulet le sait. Il dit qu’il a dit ça dans le feu de l’action, mais ce n’est pas une excuse qui justifie ce qu’il a dit. Je regrette beaucoup les propos de M. Boulet […]. Il a fait une grave erreur de jugement », a soulevé M. Legault en conférence de presse.

Sur les réseaux sociaux, le ministre Boulet s’est dit « désolé d’avoir mal exprimé (sa) pensée ». « L’extrait diffusé ne reflète pas ce que je pense. Il faut continuer de miser sur l’accueil, la francisation et l’intégration des immigrants, qui sont une richesse pour le Québec », a-t-il écrit.

« Un peu suicidaire »

François Legault a causé lui-même la controverse avec des propos sur l’immigration. « Ça serait un peu suicidaire » pour la nation québécoise d’accueillir plus de 50 000 nouveaux arrivants par année, a-t-il lancé devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, qui réclame de rehausser les seuils d’immigration.

« Des gens disent : où vous avez pris ça, la capacité d’intégration ? Bien, (les chiffres) sont clairs. Il y a un déclin (du français). Si on garde la même recette, ça va donner le même gâteau », a-t-il déclaré devant un parterre de 800 gens d’affaires.

Il a fait valoir que s’il est réélu, le seuil d’immigration va « rester à 50 000, mais on va être plus exigeant sur la connaissance du français. On va essayer d’envoyer un plus grand pourcentage dans les régions francophones, ça va aider. Mais tant qu’on n’aura pas stoppé le déclin du français, je pense que pour la nation québécoise qui veut protéger le français, ça serait un peu suicidaire d’aller augmenter » les seuils, a-t-il lancé.

François Legault a persisté et signé plus tard lors d’une courte mêlée de presse à laquelle son équipe a mis fin abruptement. « Ce serait un peu suicidaire pour la nation québécoise qui parle français d’augmenter le nombre d’immigrants », a-t-il réitéré. Il croit que « l’ensemble de [son] message a passé » devant les gens d’affaires parce qu’il a été « ovationné » avant et après son discours.

Le président de la Chambre de commerce, Michel Leblanc, qui réclame 64 000 immigrants par année, a contredit le chef caquiste. « Ce n’est pas du tout suicidaire. Le risque qu’on court présentement, c’est une fragilisation d’entreprises qui veulent croître […] et qui ont besoin de combler des postes stratégiques. On a besoin d’aide. Les entreprises ont de la difficulté à accepter tous les contrats qui sont possibles, à livrer dans les délais, à livrer la qualité parfois qui est attendue, tout simplement parce qu’elles manquent de personnel », a-t-il affirmé aux journalistes. Il croit possible d’intégrer convenablement plus d’immigrants.

Pour Michel Leblanc, François Legault alimente une perception négative qui profite à Bay Street. « La langue n’est pas un frein. Ce qui est un frein, c’est une perception qu’un immigrant qui connaîtrait mal le français va être mal accueilli dans la société québécoise. C’est une perception qu’utilisent en ce moment des gens dans d’autres juridictions, notamment à Toronto, pour essayer de convaincre ces talents-là d’aller là-bas plutôt que de venir à Montréal. Il faut s’assurer qu’on ne crée pas cette perception-là. »

François Legault « ne pense pas » que ses déclarations et celles de M. Boulet vont plomber sa campagne. Il ne croit pas non plus qu’il aura à s’excuser pour ses propos – il a déjà présenté deux fois des excuses depuis le début de la campagne, notamment après avoir associé immigration et violence.

M. Boulet n’en est pas à sa première controverse en matière d’immigration. En décembre dernier, il avait reconnu s’être mal exprimé dans un gazouillis sur Twitter, où il demandait au gouvernement Trudeau de « fermer le chemin Roxham », en liant le dossier à la COVID-19. « Nous devons tous nous mobiliser devant la remontée des cas de COVID-19 […] afin de ne pas surcharger notre système de santé », écrivait-il, ce qui lui avait valu une pluie de critiques.

Avec Pierre-André Normandin