Le premier mot d’Alex, un bébé québécois, n’a pas été maman ou papa, mais Google. « Il mangeait, puis j’ai demandé à Google de mettre de la musique, puis il a répété après moi », a témoigné sa mère, Sophie, utilisatrice d’un assistant personnel intelligent Google Home. Troublante, cette information est relatée dans O.K. Google, assiste-moi, un mémoire présenté récemment par François Lachance à l’Université de Montréal. « OK Google, résume cette recherche en sept points. »

Les Québécois enthousiastes

À peine 7 % des adultes québécois avaient un assistant vocal à domicile — l’autre nom des Google Home, Amazon Echo, etc. — en avril 2018, selon l’organisme de recherche CEFRIO. Ce taux grimpait toutefois à 11 % chez les 25 à 34 ans, et il a sûrement continué d’augmenter depuis. Plus de la moitié des Québécois se disent « enthousiastes face au futur des technologies et des objets intelligents comme partie intégrante de la vie quotidienne à la maison », d’après le CEFRIO.

Pour explorer comment les familles intègrent le Google Home (l’assistant vocal le plus populaire dans la province) à leur routine, François Lachance a rencontré 26 Québécois, dont 14 sont des parents vivant avec au moins un enfant.

Communication facilitée

« Je me suis surtout intéressé à la dynamique familiale, dit en entrevue François Lachance. Dans certaines familles, le Google Home était au départ juste un gadget que le père rapportait à la maison. Au fur et à mesure, c’est devenu un objet significatif pour tous dans ces familles. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

François Lachance s’est intéressé aux familles québécoises qui domestiquent le Google Home, dans le cadre de son mémoire de maîtrise en communication à l’Université de Montréal.

Les fonctionnalités qui facilitent la communication entre les membres sont particulièrement appréciées — elles confèrent un rôle symbolique d’assistant familial à l’appareil. Éric, père de deux filles âgées de 9 et 12 ans qui ont chacune un Google Home dans leur chambre, se sert de la fonction intercom pour leur parler. Julie, sa conjointe, est plus rigolote : elle diffuse à plein volume la chanson La dame en bleu dans les appareils quand elle désire que ses enfants montent (du sous-sol, déduit-on du mémoire).

Quatre étapes

Selon François Lachance, le Google Home peut avoir diverses significations : simple gadget, outil dimensionnel (par exemple haut-parleur, minuterie ou télécommande), « haut-parleur+ » (un haut-parleur avec plusieurs fonctions, qui ne sont pas intégrées à leurs routines) ou assistant.

Véritable assistant, c’est ce que le Google Home est devenu pour Nathalie, cuisinière de métier. Quand elle est au travail, elle peut lui poser une question oralement « sans être obligée de me laver les mains », témoigne-t-elle dans le mémoire. D’autres ont débranché leur assistant personnel intelligent, le jugeant inutile. C’est le cas de Johanne, qui n’arrivait pas à faire comprendre sa façon de prononcer « Pink Floyd » à l’appareil.

Impacts sur les enfants

Deux des familles rencontrées par François Lachance ont un bébé dont le premier mot a été « Google ». Il y a Alex, mais aussi Jack, 20 mois. « Ç’a été son premier mot clair », témoigne dans le mémoire Julie, sa mère. Lors de l’entretien avec le chercheur, le petit Jack répétait souvent « Google », comme il entendait ce mot et souhaitait activer le Google Home pour écouter sa chanson préférée.

DESSIN FOURNI PAR FRANÇOIS LACHANCE

Dessin de la famille de Thomas (prénom fictif), 6 ans, avec le Google Home. « Thomas avait un problème avec la reconnaissance vocale, ce qui avait freiné son processus de domestication », indique François Lachance dans son mémoire. Le dessin montre les parents et la grande sœur de Thomas avec l’appareil — lui-même est exclu de l’œuvre.

D’autres parents s’inquiètent du fait que leurs enfants les entendent constamment japper des ordres, sans formule de politesse. Il est possible de dire « s’il vous plaît » et « merci » à l’appareil, mais la communication est plus simple si l’on ordonne : « OK Google, ajoute un citron à ma liste de courses » ou « OK Google, joue de la musique relaxante sur Spotify ». L’adulte comprend qu’il s’adresse à une machine. Les enfants ont toutefois « davantage tendance à anthropomorphiser les technologies », selon le mémoire.

S’imposer des limites

Les cellulaires, tablettes et écouteurs sans fil apparus ces dernières années enferment tous leurs utilisateurs dans une bulle, où chacun fait ce qu’il veut. Au contraire, les assistants vocaux sont généralement installés au centre des maisons, comme le téléphone naguère. C’est un atout, puisque cela permet aux membres d’un foyer d’être témoins des interactions des autres avec le Google Home et de se soutenir au besoin.

« Il faut quand même s’imposer des limites pour respecter tout le monde », souligne François Lachance. Un utilisateur qui a automatisé sa hotte de poêle a compris qu’il allait trop loin quand il a reçu un message de sa conjointe lui demandant comment faire fonctionner ladite hotte…

Vie privée

Seule une des 26 personnes rencontrées par François Lachance a fait part d’inquiétudes quant au respect de sa vie privée. « Quand elle a appris que le Google Home pouvait l’écouter pas mal en permanence, elle a eu des réticences et l’a un peu moins utilisé, explique-t-il. C’est la seule participante qui a mentionné cela. Les autres répétaient toujours la même chose : “On n’a rien à cacher”. » Tant pis si l’assistant sait à quelle heure les membres de la famille dorment tous à poings fermés, quand ils sont tous absents, etc.

Aussi un utilisateur

François Lachance possède lui aussi un Google Home, qu’il utilise quotidiennement. « Je l’ai connecté avec ma télévision et avec une lumière, précise-t-il. Je m’en sers pour écouter de la musique, la radio et pour poser des questions. Des fois, c’est pour le fun. Il n’est pas intégré entièrement dans mes routines, mais j’utilise plusieurs fonctions. »

Depuis peu coordonnateur aux communications de Hockey Québec, François Lachance court le risque de voir son appareil se mettre en marche continuellement. Soit dès qu’il prononce le nom de notre sport national, si près de « OK »…

>Consultez le mémoire de François Lachance