Des médecins de famille de la Montérégie s’inquiètent de la potentielle perte de centaines de résultats de tests de laboratoire de patients à la suite du déploiement chaotique d’un nouveau système informatique dans leur région. « On est en mode panique. C’est catastrophique », a affirmé une médecin de famille.

Mis sur la glace pendant des semaines à cause d’importants problèmes d’implantation, le projet de Système d’information de laboratoire provincial (SIL-P) du gouvernement a été relancé fin novembre et connaît à nouveau des ratés

« C’est la sécurité des patients qui est en jeu », affirme la Dre Joëlle Bertrand-Bovet, médecin dans un groupe de médecine de famille (GMF) de Saint-Jean-sur-Richelieu.

Un de ses collègues, le DAlexandre Prud’Homme-Delage, a formulé une plainte au Collège des médecins du Québec ces derniers jours pour l’alerter du danger potentiel pour les patients. « Il y aura de multiples pertes au suivi et des patients en décéderont », écrit-il. Le DPrud’Homme-Delage mentionne que depuis deux semaines, le résultat d’un patient qui avait « une hémoglobine près du seuil transfusionnel » ne lui est par exemple pas parvenu via le SIL-P.

Parce que le patient était alerte et a demandé un suivi, le Dr Prud’Homme-Delage a été en mesure de retrouver ses résultats. Mais le nouveau SIL-P complique son travail et lui fait craindre le pire, peut-on lire dans la plainte. Le changement de système représente notamment « 75 minutes de plus de gestion de résultats par médecin par jour », écrit le Dr Prud’Homme-Delage.

Dans une infolettre diffusée vendredi, le Collège des médecins se dit « préoccupé par les problèmes notés dans la trajectoire des résultats des examens de laboratoire ». Le Collège présente différentes informations aux médecins pour les aider à mieux naviguer dans le SIL-P et assure qu’il « continuera d’interpeller les instances responsables lorsque nécessaire ».

Président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), le DMarc-André Amyot a écrit au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), jeudi, pour lui demander de « prioriser » ce dossier qu’il décrit comme une « catastrophe ».

Un système problématique

Depuis l’automne 2022, le réseau de la santé implante graduellement le SIL-P. L’objectif de ce système est que d’ici 2025, les 120 laboratoires d’hôpitaux de la province puissent communiquer entre eux à l’aide du système d’un même fournisseur (il y en avait cinq auparavant).

La Presse a déjà écrit que le déploiement du SIL-P ne se faisait pas sans heurt.

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Jusqu’à maintenant, 17 laboratoires utilisent le SIL-P. Au printemps, devant les nombreux pépins, le déploiement du SIL-P avait été suspendu. « Là, ça reprend, et on vit les mêmes problèmes. C’est inquiétant », dit le DAmyot.

La Dre Bertrand-Bovet, qui expérimente le nouveau SIL-P depuis la fin de novembre dans son GMF de Saint-Jean-sur-Richelieu, explique que l’un des principaux problèmes est que les résultats de laboratoire des patients ne sont plus automatiquement versés dans les dossiers médicaux électroniques (DME) des médecins. Et que s’assurer d’être informée des résultats de ses patients devient ainsi plus difficile.

Dans sa plainte, le DPrud’Homme-Delage écrit qu’auparavant, « tous les rapports de laboratoires entraient dans les DME du médecin prescripteur en moins de 12 h, peu importe l’endroit où était faite la prise de sang ».

Mais avec le SIL-P, les rapports « sont envoyés à l’imprimante de la commis au lieu où s’est fait le prélèvement ». « Par exemple, si j’envoie un patient en médecine ambulatoire depuis mon bureau en GMF, le rapport sera envoyé à l’imprimante de la secrétaire de la médecine ambulatoire. Je dois alors m’en remettre au destin et espérer que cette dernière aura le réflexe de me l’envoyer par fax ou par la poste », dit-il.

Multiplication de la paperasse

Pour s’assurer de ne pas « échapper » de résultats problématiques, les médecins sont invités à consulter à la mitaine les résultats de leurs patients dans le Dossier santé Québec (DSQ). Ce qui prend beaucoup de temps, selon la Dre Bertrand-Bovet. « Certains médecins voient moins de patients par jour pour avoir le temps de faire tout ça. Ça n’a pas de sens », dit-elle.

Autre problème du nouveau SIL-P : pour certains patients qui ont plusieurs éléments à vérifier avec leur prélèvement, un nouveau rapport est envoyé à l’obtention de chaque résultat. Le Dr Prud’Homme-Delage reçoit ainsi dans certains cas « 7 copies de chaque rapport de laboratoire » et doit « passer en revue l’ensemble des pages à chaque fois pour voir la nouveauté ». Ce qui représente une perte de temps importante.

Pour la Dre Bertrand-Bovet, le nouveau SIL-P « semble avoir été fait par des gens qui ne sont pas au courant de la réalité terrain ».

« On ne semble pas écouter les médecins. Pourtant ce sont eux qui sont sur le terrain », ajoute le DAmyot.

Le Collège des médecins dit pour sa part avoir communiqué avec le MSSS au sujet des « enjeux relatifs aux canaux de communication et aux copies conformes » des résultats de laboratoire. Pour le Collège, « plus que jamais, en cette période de transition informatique, l’adage qui stipule “Pas de nouvelles, bonnes nouvelles !” ne devrait pas être employé pour rassurer les patientes et les patients quant à leurs résultats d’examen ».

Au MSSS, on assure qu’aucun résultat de laboratoire n’a été perdu jusqu’à maintenant. On souligne que l’implantation du SIL-P « implique une gestion du changement ». On affirme que « dès la mention d’une insatisfaction, tous les acteurs impliqués […] sont mis à contribution afin de corriger la situation ». Au CISSS de la Montérégie-Centre, on reconnaît « faire face à certains défis » avec l’implantation du SIL-P. La porte-parole Martine Lesage affirme que « des mécanismes de soutien sont actuellement en place pour effectuer des ajustements ».

Pour la Dre Bertrand-Bovet, des solutions doivent être rapidement trouvées. « On a peur que des patients soient dans la nature sans connaître leurs résultats. C’est inquiétant et dangereux », dit-elle.

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  • 71,8 millions
    Coût du nouveau Système d’information de laboratoire provincial
    Source : ministère de la Santé et des Services sociaux