« Non coupable. » Donald Trump n’en a pas dit davantage mardi lors de sa comparution historique devant un juge de Manhattan. Ce dernier venait de lui demander comment il plaidait aux 34 chefs d’accusation le visant pour falsification de documents d’affaires concernant un versement de 130 000 $ à l’actrice porno Stormy Daniels.

Le prévenu le plus célèbre du monde s’est repris plus tard au cours de cette journée sans précédent aux États-Unis, où aucun président, en exercice ou non, n’avait jusqu’alors eu à affronter une accusation criminelle.

« Le seul crime que j’ai commis est de défendre sans peur notre nation contre ceux qui cherchent à la détruire », a-t-il déclaré devant des partisans à Mar-a-Lago, son club privé de Floride, qualifiant son inculpation d’« insulte à la nation ». « Cela n’aurait jamais dû se produire en Amérique. »

Après un long retour décousu sur ses griefs habituels concernant les autres enquêtes dont il fait ou a fait l’objet, il a attaqué le procureur de Manhattan Alvin Bragg comme rarement un accusé se permet de le faire.

« Le criminel est le procureur de Manhattan parce qu’il a divulgué illégalement une quantité massive d’informations concernant le grand jury, ce pour quoi il devrait être poursuivi ou, au minimum, démissionner », a-t-il déclaré au cours d’une intervention ponctuée de plusieurs exagérations et mensonges.

Melania Trump brillait par son absence lors de cette intervention.

« Stratagème »

Plus tôt dans la journée, lors d’une conférence de presse, Alvin Bragg a accusé l’ancien président d’avoir violé les lois électorales de l’État de New York et des États-Unis en payant deux femmes, et non pas une seule, pour leur silence sur des relations sexuelles présumées avec lui.

Karen McDougal, Playmate de 1998, est la deuxième femme.

« Ce stratagème a violé la loi électorale de New York, qui considère comme un crime le fait de conspirer pour promouvoir une candidature par des moyens illégaux. Le virement de 130 000 $ a dépassé le plafond fédéral de contribution aux campagnes électorales », a déclaré le procureur de Manhattan.

Mais les crimes que Donald Trump aurait pu vouloir camoufler en falsifiant les registres de son entreprise ne sont pas mentionnés dans l’acte d’accusation, un fait qui a valu à Alvin Bragg les critiques de certains experts.

PHOTO ANGELA WEISS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le procureur de Manhattan Alvin Bragg en conférence de presse mardi

Selon une « déclaration des faits » présentée par le procureur de Manhattan et accompagnant l’acte d’accusation, les paiements versés à Stormy Daniels et à Karen McDougal, ainsi que celui versé à une troisième personne, s’inscrivaient dans un « stratagème » pour éviter la publication d’informations négatives durant la campagne présidentielle de 2016.

Cela dit, les 34 chefs d’accusation sont liés exclusivement à l’argent versé à Stormy Daniels par Michael Cohen, l’ancien avocat de Donald Trump. Ce dernier a remboursé son avocat en signant 9 des 11 chèques remis à Cohen après son entrée à la Maison-Blanche, en 2017.

Chaque chèque vaut à Donald Trump un chef d’inculpation, de même que chaque mention de ces remboursements dans les documents d’affaires où ils ont été faussement attribués à des frais juridiques selon le procureur de Manhattan.

Quant au « stratagème » dans lequel serait impliqué Donald Trump, il serait né d’une rencontre en août 2015 entre Donald Trump et un ami de longue date, David Pecker, qui était alors propriétaire du National Enquirer.

Selon la « déclaration des faits », David Pecker a alors proposé d’aider la campagne du candidat présidentiel en interceptant les histoires potentiellement négatives sur son compte en les achetant et en les enterrant, une pratique appelée « catch and kill ».

Le National Enquirer a effectué deux paiements dans le cadre de ce stratagème allégué, l’un de 30 000 $ à un portier de la Trump Tower et l’autre de 150 000 $ à Karen McDougal, qui prétendait avoir eu une liaison amoureuse avec Donald Trump.

Le portier menaçait de son côté de raconter que Trump avait fait un enfant avec une de ses employées, ce qui était faux. Il a quand même reçu un paiement.

Stormy Daniels, elle, a tenté de vendre son histoire au National Enquirer, mais un des adjoints de David Pecker lui a conseillé de contacter Michael Cohen.

Attendu de part et d’autre

Donald Trump s’est rendu à la justice un peu avant 13 h 30, après avoir parcouru en limousine le trajet entre la Trump Tower et le tribunal pénal de Manhattan, où se trouve également le bureau du procureur de Manhattan.

Une heure plus tard, la mine sombre, il a fait son entrée dans la salle d’audience du juge Juan Merchan, après avoir donné ses empreintes digitales. Même s’il a évité les menottes et la photo d’identité judiciaire, son équipe de campagne a mis en vente des t-shirts ornés d’une fausse « mugshot » accompagnée du message « Non coupable ».

Le juge a fixé au 4 décembre la prochaine audience et n’a pas contraint les parties à garder le silence sur l’affaire d’ici là.

Malgré les craintes, aucun acte de violence n’a été signalé à New York. Quelques centaines de détracteurs et de supporteurs de Trump se sont rassemblés dans un petit parc situé en face du tribunal, où ils se sont copieusement engueulés et conspués.

PHOTO STEFAN JEREMIAH, ASSOCIATED PRESS

Deux manifestantes s’affrontent devant le tribunal où a comparu Donald Trump mardi.

En matinée, la représentante républicaine de Géorgie, Marjorie Taylor Greene, y a fait son tour, profitant de l’occasion pour critiquer les démocrates.

« C’est une parodie », a lancé la pasionaria d’extrême droite à l’aide d’un mégaphone qui n’a pas empêché les détracteurs de l’ancien président d’enterrer ses propos sous les cris et les huées.

Au bout de cinq minutes, elle a quitté le parc sous escorte, mais pas avant de qualifier les démocrates de « parti de la violence ».

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Les manifestants pro-Trump et anti-Trump étaient séparés par des barrières.

Pour éviter tout débordement, les policiers avaient installé des barrières pour séparer les partisans et les contempteurs de Donald Trump. Ce qui n’a pas empêché Ozzie Hernandez, un New-Yorkais de 58 ans, de brandir une affiche anti-Trump parmi la foule des pro-Trump.

« J’exerce mes droits au titre du premier amendement », a-t-il déclaré, sous la protection de deux policiers.

« Certains supporteurs de Donald Trump pensent qu’il peut marcher sur l’eau. Il ne le peut pas. Il sera condamné. Malheureusement, il n’y a pas de peine d’emprisonnement obligatoire liée à son crime. Il recevra probablement une tape sur les doigts. Heureusement, ce n’est que le début de ses ennuis avec la justice. »

Non loin de lui, Michele Mills, une artiste de Saugerties, dans l’État de New York, semblait croire au contraire que Donald Trump pourrait faire des miracles après son inculpation à New York.

« Tout cela l’aidera à retourner à la Maison-Blanche, a-t-elle déclaré. Alvin Bragg vient de commettre la plus grosse erreur de sa carrière. Je sais comment cela finira.

— Et comment cela finira-t-il ?

— Dieu va gagner, ce qui signifie que le peuple va gagner. »