Un homme simple et vrai, c’est ainsi que ses pairs décrivaient tous Jean Lapointe vendredi, quelques heures après l’annonce de sa mort. « Quand tu jouais avec lui, se rappelle Louise Latraverse, tu ne pouvais pas être mauvais. Il te bonifiait, parce qu’il avait un tel naturel. Je l’ai souvent dit : Jean a inventé le naturel. »

Louise Latraverse aura été parmi les dernières à partager une scène avec cet « homme aux multiples grands talents », dans Mon cirque à moi, de Miryam Bouchard, en 2020. « Quand Jean arrivait sur un plateau, c’était sûr que ça allait être une belle journée, on se sentait toujours aimé. Jean aimait les gens et les gens aimaient Jean. »

L’actrice se souvient du trac qu’elle vivait au moment d’amorcer le tournage d’À l’origine d’un cri (2010), de Robin Aubert, son retour au grand écran après plusieurs années d’absence. « Et Jean était tout de suite venu me rassurer. C’était quelqu’un d’encourageant, qui nous complimentait. Mon Dieu qu’on était donc bonnes et belles et formidables ! »

Road movie sombre sur la mort et la filiation, À l’origine d’un cri accompagne Jean Lapointe, dans le rôle d’un grand-père, et son petit-fils (Patrick Hivon) qui tentaient de retrouver sur les routes secondaires d’un Québec de motels et de tavernes un père endeuillé, incarné par Michel Barrette.

« Je me souviens en particulier d’une scène dans laquelle Jean me déshabille pour me mettre au lit », raconte le comédien et humoriste, joint par La Presse. « Je l’ai revue récemment et je pense que si on sent à ce point la vérité, c’est parce que c’était plus que deux acteurs qui se rencontraient, mais deux humains. Pendant cette scène-là, Jean Lapointe était vraiment mon père. J’avais l’impression que c’était mon vrai père qui me consolait. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Patrick Hivon, Jean Lapointe et Michel Barrette en 2010

Au-delà de ces moments émouvants, Michel Barrette garde aussi en mémoire les anecdotes de tournée dont Jean Lapointe régalait ses camarades, entre les prises. « L’essentiel pour lui, c’était de toucher les gens, de les aimer pour vrai. Quand il s’adressait à toi, tu devenais la personne la plus importante au monde. Il avait quelque chose dans le regard qui était vrai. »

« Du niveau de Jean Gabin »

Agent de Jean Lapointe pendant 18 ans, à partir de 1992, Bernard-Y. Caza aura été aux premières loges de certains de ses triomphes, dont le spectacle Un dernier coup de balai, mis en scène par Denise Filiatrault, qui marquait en 1993 la réconciliation des Jérolas.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Avec Jérôme Lemay, en 2011

Celui qui est aussi directeur artistique du Vieux Clocher de Magog passait un dernier coup de fil à son ami il y a quelques mois. « Toutes les fois que je lui parlais, confie-t-il, je lui répétais à quel point il avait laissé un trou dans ma vie lorsqu’il avait cessé de faire de la scène. »

L’imprésario parle d’« un grand tannant », d’un « acteur d’une générosité et d’un naturel extraordinaires » ainsi que d’un « grand mélodiste ». Louise Latraverse abonde dans le même sens. « Quand Jean arrivait sur scène et qu’il se mettait à chanter avec toute cette émotion, cette simplicité, on pleurait presque tout le temps. C’était un excellent chanteur et un grand cœur. »

Denise Filiatrault évoque également un acteur naturel qui s’est « fait tout seul », un multidoué doté d’un talent exceptionnel. « Mais il ne s’en rendait pas compte. Le talent lui sortait par les oreilles, tout était facile pour lui. L’avez-vous vu dans Duplessis [minisérie de 1978] ? Il était d’une justesse… Pour moi, il était du niveau de Jean Gabin, ça va jusque-là. »

Généreux sur scène et à la caméra, Jean Lapointe l’a aussi été avec tous ceux qui lui ont un jour confié leurs propres problèmes de dépendance. L’homme qui avait lui-même connu les affres de l’alcoolisme acceptait d’entendre la chanson que quiconque souhaitait lui chanter, même si la chanson de leur cœur était empreinte de douleur. « Il y avait tellement de gens en difficulté qui me contactaient pour que Jean les aide, dit Bernard-Y. Caza. Ça pouvait durer une, deux heures, mais Jean les appelait chaque fois. »

« Quand on perd un ami, on meurt un peu avec lui »

« Au-delà de tout ce qu’il a pu accomplir artistiquement, sa plus grande fierté aura été la Fondation et la Maison Jean Lapointe », souligne sa fille, Anne Elizabeth Lapointe, directrice générale de la Maison Jean Lapointe, qui accordait des entretiens aux médias avec son frère Jean-Marie, depuis la Maison de soins palliatifs Saint-Raphaël, où leur père s’est éteint.

Jean Lapointe avait assisté en octobre dernier aux festivités soulignant les 40 ans du centre de traitement des dépendances qu’il a fondé en 1982. « Papa, c’est une réussite à 360 degrés », observe Jean-Marie Lapointe. « Qu’il soit parvenu à transcender ses démons, ça en faisait à mes yeux un surhomme. Mais il est toujours resté très, très simple et c’est quelque chose qui continue de m’inspirer. »

L’animateur et comédien soupçonne que l’infinie résilience de son père n’était pas sans lien avec sa foi. « C’était un homme profondément croyant. Il avait ce désir de vivre, mais il a toujours dit que quand le boss en haut le rappellerait, il allait suivre. »

PHOTO PIERRE-PAUL POULIN, ARCHIVES LA PRESSE

Avec son fils Jean-Marie Lapointe, lors d’un gala hommage à Juste pour rire en 2005

Ami de Jean Chrétien, qui l’a nommé au Sénat en 2001, Jean Lapointe a aussi été proche de Félix Leclerc, preuve parmi bien d’autres de l’affection dont il était l’objet de la part de gens ne logeant pas à la même enseigne. Jointe par écrit, la fille de Félix Leclerc, Nathalie, se remémorait que c’est Jean Lapointe qui, en août 1988, avait conduit sa famille à l’enterrement de son père.

« Il était là et son chagrin était aussi grand que le mien. Il a dit aux journalistes cette journée-là : “Quand on perd un ami, on meurt un peu avec lui”, et j’ai longtemps eu cette phrase en tête. Et je me suis demandé longtemps si je n’étais pas morte un peu, moi aussi. Maman lui téléphonait souvent pour lui parler de ma peine et il lui disait “Laisse-la faire. Elle a besoin de vivre sa peine. Et après elle ira mieux.” Il avait raison. »

Avec la collaboration de Josée Lapointe, La Presse