C’est l’étoile montante de la mouvance complotiste. Il se pose en grand défenseur de la liberté, distribuant des chèques de 500 $ aux camionneurs du blocus d’Ottawa. Les dons affluent généreusement à travers son prétendu « parti du pouvoir horizontal », l’Union fait la force (UFF). Mais Georges Samman, alias Georges Tiger sur Facebook, traîne aussi un passé criminel de fraude.

« On a reçu exactement 112 400 $ [en dons]. C’est quand même impressionnant, je ne m’attendais pas à ça », annonçait jeudi Georges Tiger à la caméra de son téléphone, dans une vidéo vue par plus de 27 000 personnes sur Facebook. Ces généreux dons, a-t-il promis, serviront à payer pour du carburant, de l’équipement et de l’hébergement pour les camionneurs du « convoi de la liberté ».

Le surlendemain, devant le parlement d’Ottawa, le leader antivaccin enchaînait les égoportraits avec ses admirateurs, qu’il avait invités à manifester avec des bidons d’essence vides en signe d’appui aux routiers.

Pratiquement inconnu de la complosphère avant le début de l’hiver, Georges Tiger est vite devenu une figure incontournable de l’opposition aux mesures sanitaires. Il multiplie les vidéos en direct sur Facebook avec toutes les vedettes du mouvement : Dan Pilon, Samuel Grenier, Maxime Ouimet, qui se présente comme le « policier du peuple », et Kevin Grenier, un des coorganisateurs du convoi de Québec.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE GEORGES TIGER

Georges Samman, alias Georges Tiger, en vidéo « live » sur Facebook avec le coorganisateur du convoi de Québec Kevin Grenier.

Quand le « convoi de la liberté » a pris forme, à la mi-janvier, il a été parmi les plus fervents promoteurs du mouvement, relayant les informations pour permettre aux citoyens de le financer.

Puis lorsque le mouvement a pris de l’ampleur, M. Samman s’est lui-même mis à récolter les dons par Interac « pour les camionneurs en besoin financier urgent », par l’entremise d’une adresse Gmail liée à l’UFF.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE L’UNION FAIT LA FORCE

Des pancartes du « parti du pouvoir horizontal », l’Union fait la force, de Georges Samman, ont été installées à plusieurs endroits à Ottawa.

Cette organisation, l’Union fait la force, a érigé un kiosque de fortune près des dizaines de camions lourds immobilisés en face du parlement d’Ottawa. Elle se présente comme le « parti du pouvoir horizontal » et promet de « reprendre le pouvoir aux élus et le donner à ceux qui comptent, le peuple ». Le parti n’est pas inscrit auprès du Directeur général des élections du Québec, pas plus qu’il n’est enregistré au Registraire des entreprises.

Une victime alléguée de Georges Samman

C’est le 8 octobre dernier que Georges Samman a créé sur Facebook la page de l’UFF, qui compte aujourd’hui plus de 39 000 abonnés.

C’est aussi le même jour, le 8 octobre, que Suzanne Bergeron Stonehouse, qui allègue avoir été une victime d’une manœuvre de Georges Samman, recevait une lettre du gouvernement lui ordonnant de rembourser plus de 89 000 $ à l’État québécois.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

La maison de Suzanne Bergeron Stonehouse a été inondée et endommagée en 2017, après quoi elle a fait affaire avec Georges Samman et son entreprise Renoka Montréal inc.

La somme lui avait été accordée par le ministère de la Sécurité publique dans le cadre d’un programme d’aide financière pour les victimes d’inondation. En mai 2017, sa modeste maison de Deux-Montagnes, située à quelques mètres du lac portant le même nom, a été inondée et endommagée par la crue des eaux. Après avoir cherché en vain des entrepreneurs prêts à faire les travaux de réparation, Mme Bergeron Stonehouse se serait fait recommander Georges Samman et son entreprise Renoka Montréal inc. par l’agent d’évaluation de dommages attitré à son dossier.

Mme Bergeron Stonehouse aurait ensuite conclu un contrat de 192 000 $ avec Georges Samman. « À la suite de demandes insistantes et répétées de Samman », elle a accepté de faire des avances totalisant 95 561 $ à Renoka. Mais malgré les coups de fil, des courriels, des lettres et une mise en demeure pour demander à M. Samman d’honorer le contrat, « aucun des travaux de réparation, de quelque nature que ce soit, n’a jamais été réalisé par Renoka, pas plus que Renoka n’a indiqué son intention de faire les travaux », affirme une requête déposée en cour par Mme Bergeron Stonehouse pour faire condamner Renoka à rembourser les 89 000 $ au gouvernement.

« Georges nous disait toujours qu’il allait commencer dans une semaine. Puis ça allait à la semaine suivante, et à la suivante. Il a fini par nous dire qu’il ne pouvait pas faire les travaux à cause de la COVID. Et à un moment donné, il a changé de numéro de téléphone, on ne pouvait plus le contacter », raconte Mme Bergeron Stonehouse.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Suzanne Bergeron Stonehouse, victime alléguée de Georges Samman

Il est parti avec tout l’argent qu’on avait mis de côté pour nos vieux jours. C’est toutes nos économies. Ça fait mal !

Suzanne Bergeron Stonehouse, victime alléguée de Georges Samman

« C’est très mal. Je ne crois pas un seul instant qu’il va redonner tout l’argent aux camionneurs », lance la dame.

Samman évoque lui-même un « passé » nébuleux

M. Samman, que La Presse a rencontré samedi à Ottawa sous la tente du kiosque de l’UFF, a refusé de nous accorder une entrevue. « Je fais seulement des entrevues en direct, où il n’y a pas de coupure, pas de montage. C’est votre intégrité que je ne truste pas », nous a-t-il dit, en nous demandant de quitter les lieux.

Dans une vidéo qu’il a diffusée la semaine dernière, il a reconnu avoir « un passé », mais il n’a jamais clairement évoqué lequel. « J’ai payé ma dette à la société », a-t-il insisté, tout en se disant victime d’une « grosse campagne de salissage sur les réseaux sociaux » et par les médias d’information, qui cherchent, selon lui, à lui nuire ainsi qu’à ses entreprises.

On a tous perdu à un moment donné notre bonne vision pour les bonnes valeurs de la vie, mais je les ai récupérées à travers les deux ans qu’on vient de passer. J’ai appris beaucoup à travers tout ça.

Georges Samman

Selon le plumitif, M. Samman a plaidé coupable en 2009 à trois chefs d’accusation de possession, utilisation ou trafic de cartes de crédit falsifiées, pour des infractions remontant à juin 2008. En novembre de la même année, il récidivait et était à nouveau accusé des mêmes chefs, auxquels s’est ajoutée une accusation de fraude pour avoir utilisé « supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif » pour frustrer le public ou des individus de sommes d’argent. Il a plaidé coupable à toutes ces accusations, qui lui ont valu un total de 18 000 $ d’amende.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Selon le plumitif, Georges Samman a plaidé coupable en 2009 à trois chefs d’accusation de possession, utilisation ou trafic de cartes de crédit falsifiées.

Une décision rendue en 2013 par la Cour du Québec, dans un autre dossier de rénovation qui a mal tourné, indique que « Georges Samman utilisait sans droit [les] noms et adresse commerciaux » d’une entreprise d’ébénisterie pour signer des contrats avec des clients. Cette histoire, pour laquelle il a été condamné à payer 7000 $ à une femme flouée, a mené à la saisie de ses meubles et de son Jeep Patriot par un huissier de justice.

Il a ensuite fait une faillite personnelle de 67 000 $ en 2016, selon des documents du Surintendant des faillites.

Depuis novembre 2020, Georges Samman fait affaire dans l’industrie de la construction sous le nom de Sinispro Rénovation inc. Le numéro de licence de la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) que Sinispro affiche sur sa page web, qui est le même que M. Samman a utilisé pour faire affaire avec Mme Bergeron Stonehouse sous le nom de Renoka, ne correspond à aucune entrée valide dans le registre de la RBQ. L’ancienne licence de Renoka est inopérante depuis le mois d’août 2021.

La Loi sur le bâtiment interdit à quiconque d’utiliser le titre d’entrepreneur en construction ou de donner lieu de croire qu’il le détient sans en être véritablement titulaire.