TVA Sports est à la « lisière » entre la survie et la fermeture.

Ce n’est pas mon expression. C’est celle employée par le président et chef de la direction de Québecor, Pierre Karl Péladeau, dans une entrevue accordée à Paul Arcand, vendredi matin. Je ne feindrai pas la surprise. Ça fait 10 ans que les résultats financiers de la chaîne sont catastrophiques. Même lorsque TVA Sports a diffusé la finale de la Coupe Stanley impliquant le Canadien, en 2021, ses pertes ont atteint 11 millions.

« Ça ne regarde pas bien pour TVA Sports, a lancé Paul Arcand à Pierre Karl Péladeau.

— Effectivement. Il y a un certain nombre de considérations qui ne militent pas pour la perspective d’une réussite [de TVA Sports].

— Avez-vous déjà fait une piastre de profit ?

— Non. Au contraire.

— Vous avez perdu combien ?

— Le total de l’investissement depuis que nous avons lancé TVA Sports est de 200 millions.

— Que vous avez perdu ?

— Que nous avons investi. On peut dire qu’on l’a perdu. Ça dépend si vous voyez le verre à moitié plein ou à moitié vide. »

La survie de TVA Sports, a ajouté Pierre Karl Péladeau, se joue maintenant devant le CRTC. L’organisme fédéral décidera bientôt si Bell doit verser plus de redevances à TVA pour ses chaînes spécialisées. « Nous sommes en arbitrage. Nous sommes à la lisière. Ce sera le dernier arbitrage avant le renouvellement du contrat avec la Ligue nationale de hockey. Ce sera déterminant. »

À haut niveau, Québecor paraît être en conflit permanent avec ses principaux concurrents. Mais sur les affectations, entre ses représentants et nous, la bonne entente règne. Les journalistes des autres médias ne sont pas mes ennemis. Ce sont simplement des collègues qui travaillent pour une autre boîte, afin de vous informer.

Ainsi, le congédiement de 140 employés de TVA, de 100 autres de Québecor et les problèmes financiers de TVA Sports ne me réjouissent pas. C’est tout le contraire. TVA m’a donné ma première chance comme journaliste. J’y ai rencontré des personnes dévouées, passionnées et compétentes. Plusieurs de mes amis y travaillent encore, dans différents départements. Je suis de tout cœur avec eux.

Après, il y a des questions à poser sur tout l’argent que Québecor a englouti dans TVA Sports. L’action de Groupe TVA vaut cinq fois moins cher aujourd’hui qu’au moment du lancement de TVA Sports. D’accord, tout n’est pas attribuable aux pertes de la chaîne sportive. Mais quand une chaîne spécialisée perd 10, 20, 30, jusqu’à 39 millions par année pendant une décennie, le trou est profond.

Comment Québecor s’est-il rendu jusqu’à 200 millions de pertes ?

En 2009, TVA a voulu attaquer le monopole de RDS sur la couverture sportive. Une très bonne idée. Tellement que Radio-Canada a fait de même. Les deux ont déposé des demandes au CRTC. TVA a obtenu une licence. Radio-Canada a abandonné son projet.

Au même moment, Pierre Karl Péladeau caressait le rêve de rapatrier les Nordiques à Québec. Les perspectives de la convergence étaient alléchantes. Il n’a donc pas lésiné pour faire de TVA Sports un succès immédiat.

Les patrons de TVA ont ouvert le carnet de chèques. Et ils en ont signé de très, très gros. D’abord aux vedettes de RDS, pour les convaincre de changer d’employeur. Renaud Lavoie, Félix Séguin, Denis Casavant, Michel Bergeron et Rodger Brulotte ont fait le saut. Puis aux différentes ligues, pour ravir les droits à leurs concurrents.

Un contrat a fait plus mal que les autres.

Celui de la LNH.

Sept cent vingt millions pour 12 ans.

Pour tous les matchs du Canadien ?

Même pas. Pour 22 matchs en saison (ceux du samedi), ainsi que pour les séries et les parties impliquant les autres équipes. Un montant démesuré. « On a choisi de ne pas aller à ce niveau-là, parce que ça aurait été la destruction de la rentabilité de RDS. Une destruction totale. Un suicide financier », avait alors confié le président de RDS, Gerry Frappier. « Honnêtement, en tout respect de la puissance de l’empire Québecor, je me creuse les méninges pour essayer de voir comment ils vont rentabiliser cette entente. »

La stratégie, en attendant le retour des Nordiques, était semblable à celle des magasins de grande surface : offrir un produit populaire à perte, pour attirer les clients dans le commerce.

La rentabilité des matchs du Canadien s’annonçait difficile, voire impossible, mais TVA Sports allait faire le plein d’abonnés.

Ce fut un échec.

Et les Nordiques ne sont jamais revenus.

En 2015, Québecor a évoqué la fermeture de TVA Sports. Personne n’y a cru. Ça ne reflétait pas ce qu’on observait sur le terrain, où TVA dépensait comme s’il n’y avait pas de lendemain. La taille de sa délégation lors de certains évènements – comme la finale de la Coupe Stanley – était impressionnante. Mais un peu avant la pandémie, quand c’est devenu clair que le retour des Nordiques battait de l’aile, la nervosité s’est installée parmi les employés. Quatre d’entre eux m’avaient confié craindre des compressions.

Puis, la pandémie a frappé. TVA a perdu plus de 110 000 abonnés. Même la présence du Canadien en finale, en plein confinement, a été insuffisante pour générer des profits.

La direction a réalisé que les émissions entourant les parties – et dans lesquelles elle avait beaucoup investi – n’avaient plus la cote. Le bulletin de nouvelles a été coupé. L’émission matinale, aussi. Dave Morissette en direct a été retirée de la grille horaire. La chaîne a aussi perdu la LHJMQ et le CF Montréal.

Si bien qu’aujourd’hui, que reste-t-il ?

L’émission de Jean-Charles Lajoie. La Poche bleue le midi. Sinon, du hockey. Beaucoup de hockey. Celui du Canadien, le samedi, également disponible sur CBC. Celui des séries, en partie retransmis sur CBC. Celui de la LNH. Le tennis féminin, disponible sur DAZN et TSN. Le baseball. Puis des propriétés secondaires, comme les Lions de Trois-Rivières, la Force de Montréal, le football universitaire et la Formule E. Difficile d’aller chercher des centaines de milliers de nouveaux abonnés avec cette offre. Surtout avec le Canadien en reconstruction.

C’est pourquoi Pierre Karl Péladeau lie l’avenir de TVA Sports à l’arbitrage du CRTC. Et même si Québecor remportait sa cause, je ne suis pas convaincu qu’au-delà de la lisière, le gazon sera subitement plus vert dans la forêt.

(Transparence totale : dans la dernière année, j’ai collaboré quatre fois à l’émission Le 5 à 7 de RDS.)