Immédiatement après le bulletin d’information de 15 h sur ICI Première, Annie Desrochers appuie sur un bouton en face d’elle et plonge. Pendant quelques minutes, elle braque sa loupe sur un sujet qui a retenu son attention. C’est le moment où elle tend la main à ceux qui vont la suivre de leur cuisine ou de leur voiture.

« Quand tu écoutes la radio, tu t’attaches à la couleur de l’animateur, me confie l’animatrice du 15-18 d’une balustrade qui donne sur le hall de Radio-Canada. C’est ça qui va faire que tu vas te distinguer. Cela dit, ce moment-là me hante. Il y a des jours où le sujet vient tardivement. »

Ça fait longtemps que je veux rencontrer Annie Desrochers. J’ai toujours aimé cette animatrice, l’une des plus aguerries de sa génération. Avec elle, pas d’errance, pas de superflu, pas de rires inutiles, juste des questions qui vont droit au but et un aiguillage hors pair.

« Après neuf ans, je comprends mieux mon rôle, mais je suis encore au bout de ma chaise. Je ne suis pas complètement détendue quand je fais cette émission. »

Il y a toutefois une certaine assurance qui vient avec les années. Je pense que c’est la relation avec les auditeurs qui me procure ça.

Annie Desrochers, animatrice du 15-18

La journée d’Annie Desrochers commence tôt. Et dans un tourbillon. Car si l’émission du matin exige qu’on se retourne comme une toupie pour traiter des sujets d’actualité, celle de l’après-midi a des défis guidés par l’omniprésence du direct dans les médias, qu’il s’agisse de la télévision, de la radio ou des journaux.

« Je continue à croire que l’émission du matin demeure la locomotive d’une station, dit-elle. Mais il est vrai que le retour à la maison fait partie des émissions phares pour lesquelles on a beaucoup d’attentes dans un marché très compétitif. »

Justement, au sujet de la concurrence, je lui demande comment elle vit avec la pression de la performance qui guette toutes les radios, même publiques. « Au début, je ne comprenais pas l’objectif des cotes d’écoute. Je n’ai pas un public à vendre à des annonceurs. Mais en même temps, on fait de la radio pour être écoutés. Si mon émission va bien, ça permet à la radio publique de bien aller. »

J’ai été étonné d’apprendre que le modus operandi de l’équipe du 15-18 va comme suit : la grande réunion du jour, celle qui a lieu à 11 h, réunit l’animatrice, la réalisatrice, les recherchistes et les reporters attitrés de l’émission. C’est à ce moment-là que les « sujets du jour » sont déterminés.

Ce n’est qu’en studio, quelques minutes avant d’entrer en ondes, qu’Annie Desrochers retrouve ses fidèles collaborateurs : Catherine Richer (culture), Martin Labrosse (sports), Ève Christian (météo) et Yves Désautels (circulation). Après presque une décennie, il est plus facile de faire monter la mayonnaise tout juste avant l’indicatif musical.

« Il y a une expression que j’aime beaucoup et c’est “les artisans de Radio-Canada”, dit-elle. Je suis une artisane de la radio. Ça envoie l’image de gens qui travaillent sur ce qu’ils doivent faire sans certitude, qui gossent leurs sujets. Ça, ça m’habite toujours. »

Des débuts en Allemagne

Fille d’un enseignant qui a choisi de travailler au sein d’une base militaire des Forces armées canadiennes en Allemagne, au début des années 1990, Annie Desrochers se retrouve déracinée de son Laval natal à l’âge de 18 ans. Sur place, il y a un petit journal. La jeune femme tente sa chance, sans succès.

Mais il y a aussi une radio gérée par Radio-Canada International. Ce média veut d’elle. Ce sont ses premières classes. À son retour au Canada, sur les conseils de Normand Harvey, elle entame un baccalauréat en communications à l’UQAM, profil radio. Puis, ce sera le parcours de la combattante qui commence par des « piges à 50 $ » à Macadam tribus, puis l’animation de 275-allô.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Annie Desrochers en 2015

Pendant de nombreuses années, elle est celle qui occupe l’exigeant poste à la revue de presse le matin. En mars 2015, alors qu’elle fait partie de l’équipe de C’est pas trop tôt !, pilotée par Marie-France Bazzo, le public apprend avec étonnement que l’animatrice quitte le navire. Ce départ crée un jeu de chaises musicales. Annie Desrochers devient l’animatrice par intérim.

Pendant trois mois, les spéculations vont bon train. Plusieurs auditeurs souhaitent que la « remplaçante » reste en place. Les patrons portent plutôt leur choix sur Alain Gravel. Mais une surprise attend Annie Desrochers : on lui propose d’animer le retour à la maison.

« C’est vrai que j’aurais voulu animer l’émission du matin, dit-elle. Mais quand on m’a dit que ce n’était pas moi qui irais, je me suis dit que je retournerais sans doute à la revue de presse. »

Quand, plus tard, on m’a offert l’après-midi, j’étais sur le cul. C’était complètement inattendu et inespéré.

Annie Desrochers, animatrice du 15-18

Émergence de la génération X

Annie Desrochers refuse de tenir pour acquis ce métier qu’elle a tant souhaité faire. « J’avais l’ambition de faire carrière à Radio-Canada, mais ce n’était pas facile pour ma génération. Les postes étaient bien occupés. »

Mais les choses ont beaucoup changé à ICI Première, où la majorité des animateurs bien en vue sont les dignes représentants de la génération X. On n’a qu’à penser à Patrick Masbourian, Marie-Louise Arsenault, Jean-Philippe Wauthier ou Annie Desrochers. « On a fini par prendre notre place. Cela dit, on a perdu des géants : Joël Le Bigot, Michel Désautels, Michel Lacombe… Il y a eu un passage et il va y en avoir un autre qui va se faire. Et c’est parfait comme ça. »

Quand on fait une recherche web sur Annie Desrochers, on découvre un grand nombre d’articles qui parlent de la mère de cinq enfants qu’elle est. Après plusieurs entrevues sur le sujet, elle ouvre maintenant la vanne avec parcimonie. « J’étais tannée de ça, dit-elle. C’est peut-être un peu de ma faute. J’ai accepté d’en parler, car j’ai été enceinte et allaitante pendant 11 ans de ma vie. Aujourd’hui, j’ai fait la paix avec ça. Je suis contente d’aborder ça pour dire aux jeunes femmes que ça se peut. »

Ces enfants, âgés de 10 à 22 ans, sont au cœur de la vie d’Annie Desrochers. « Ce métier prend beaucoup d’espace. Tu peux facilement te faire emporter. Mes enfants me gardent dans l’ici et maintenant. Ça me grounde beaucoup. »

L’an prochain, Annie Desrochers célébrera ses dix ans aux commandes du 15-18, un exploit pour une animatrice d’émission de fin d’après-midi. Elle sait qu’elle a de nombreuses années de radio devant elle, mais curieusement, l’idée de la fin occupe déjà ses pensées.

« Je trouve que c’est difficile pour les femmes de vieillir à l’antenne. Mais bon, je suis encore jeune et ce métier est la grande passion de ma vie. Je ne m’imagine pas faire autre chose. Quand je ne le ferai plus, je me demande de quoi ma vie sera composée. »

Le 15-18, du lundi au vendredi, de 15 h à 18 h, sur ICI Première