(Québec) Les ministres de l’Éducation du Québec et de la France dénoncent dans une sortie aussi musclée qu’inusitée la « culture de l’annulation » – de l’expression anglaise cancel culture –, qui constitue selon eux « un terreau fertile pour tous les extrêmes qui menacent la cohésion de nos sociétés ». Ils organiseront « une rencontre de jeunes » des deux côtés de l’Atlantique pour débattre du sujet.

Dans une lettre ouverte qui sera publiée dans les médias québécois vendredi, le ministre français de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, Jean-Michel Blanquer, prend la plume avec le ministre de l’Éducation du Québec, Jean-François Roberge, pour dénoncer « les dérives liées à la culture de l’annulation ». Ils citent l’exemple des écoles francophones ontariennes qui ont jeté et brûlé des livres, notamment des séries Tintin et Lucky Luke, accusés de perpétuer des stéréotypes concernant les peuples autochtones.

La culture de l’annulation, terme dont l’utilisation a explosé dans la sphère publique depuis un certain temps, se traduit, selon les ministres québécois et français, par « le bannissement de personnalités, de spectacles et de conférences, le harcèlement sur les médias sociaux, la censure, l’assujettissement de la science à l’idéologie [et] l’effacement de l’histoire jusqu’à l’autodafé de livres ». Pour eux, ce phénomène « directement [importé] de certains campus universitaires américains » affaiblit les valeurs démocratiques.

« Le refus de questionner ses croyances et ses certitudes, d’être confronté ou même seulement exposé à des points de vue opposés, témoigne d’un recul inquiétant de l’esprit démocratique. […] Face à ce constat, il est plus que jamais nécessaire de réfléchir au rôle de l’éducation en démocratie », plaident MM. Blanquer et Roberge.

L’école transformée en rempart

En organisant une « rencontre de jeunes » pour débattre de la culture de l’annulation « aux côtés d’intellectuels », dont le nom n’est pas précisé, les ministres de l’Éducation du Québec et de la France affirment lutter pour « une forme de conversation civique apaisée qui ne saurait exister sans la liberté d’opinion et d’expression ».

C’est pourquoi nous affirmons avec force et conviction que l’école, rempart primordial contre l’ignorance et l’obscurantisme, doit être le lieu privilégié de la construction d’un projet civique commun partagé.

Les ministres de l'Éducation de la France et du Québec, dans une lettre ouverte

Dans la conclusion de leur lettre qui additionne les formules coups-de-poing, les ministres affirment que « ce n’est pas en renonçant à être qui nous sommes ni en ignorant d’où nous venons, comme le professent les “assassins de la mémoire”, que nous pourrons célébrer le progrès et nous projeter vers l’avenir ».

Un débat qui fait les manchettes

La question de la liberté d’expression et de la liberté de l’enseignement fait couler beaucoup d’encre au Québec depuis des mois, notamment en ce qui concerne l’utilisation de certains termes, comme le mot commençant par la lettre N, dans un contexte scolaire.

Récemment, la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, a promis que le gouvernement Legault réagirait « rapidement et fortement » sur la question de la liberté universitaire, alors que la commission présidée par Alexandre Cloutier doit formuler des recommandations à ce sujet d’ici la fin de l’automne.

En France, Jean-Michel Blanquer a lancé la semaine dernière un « observatoire républicain chargé de lutter contre le wokisme » et la cancel culture, ont rapporté les médias européens. Le ministre a annoncé cette initiative à quelques jours de la commémoration de l’assassinat du professeur d’histoire Samuel Paty, tué en octobre 2020 à sa sortie d’une école où il avait montré des caricatures du prophète Mahomet dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression.

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