(New York) Au moment où sa plus récente campagne présidentielle semblait vouée au même échec humiliant que les deux précédentes, Joe Biden s’est mis à raconter une histoire susceptible de remuer les électeurs noirs qui allaient le sauver.

« Il y a 30 ans jour pour jour, Nelson Mandela est sorti de prison et a entamé des discussions sur l’apartheid », a-t-il rappelé le 11 février 2020 lors d’un rassemblement en Caroline du Sud. « J’ai eu le grand honneur d’être arrêté avec notre ambassadeur des Nations unies dans les rues de Soweto en tentant de le voir sur Robben Island. »

Le futur président a raconté cette histoire au moins trois fois en février 2020. Mais Andrew Young, ambassadeur des États-Unis auprès de l’ONU de 1977 à 1979, a déclaré aux médias ne pas se souvenir d’une telle arrestation.

Ce n’était pas la première fois que Joe Biden se donnait le beau rôle dans le combat des Noirs contre le racisme.

Il y a un an à peine, Joe Biden s’est vanté pour la énième fois d’avoir été arrêté durant les manifestations pour les droits civiques des années 1960.

« J’ai l’impression que c’était hier la première fois que j’ai été arrêté », a-t-il déclaré à des étudiants noirs d’Atlanta.

Personne n’est parvenu à confirmer une seule des arrestations dont Joe Biden a émaillé ses discours au fil des ans.

Nouveau venu

Ces jours-ci, les États-Unis font connaissance avec un fabulateur en série, George Santos, élu à la Chambre des représentants dans une circonscription de New York après avoir menti sur presque tous les aspects de sa vie, y compris son parcours universitaire, ses expériences professionnelles et son héritage religieux. Il a aussi prétendu faussement que sa mère était morte dans l’écroulement d’une des tours du World Trade Center.

PHOTO EVELYN HOCKSTEIN, ARCHIVES REUTERS

Le représentant républicain George Santos, élu en novembre dernier

Les démocrates, de même que certains dirigeants républicains de New York, ont réclamé la démission de Santos, dont les déclarations financières en tant que candidat pourraient par ailleurs lui valoir des ennuis avec la justice. Mais plusieurs commentateurs conservateurs ont profité de l’occasion pour affirmer que « Santos doit avoir appris de Biden la façon d’inventer des détails sur son passé », pour citer l’un d’eux.

Christian Hart, coauteur de Pathological Lying, un livre paru en septembre dernier, et de Big Liars, qui sortira en août prochain, ne minimise pas les mensonges de Joe Biden.

« L’invention d’histoires lourdes de conséquences sur son passé fait certainement partie de cette catégorie des grands mensonges dont nous parlons dans [Big Liars] », dit le professeur de psychologie à l’Université de la femme du Texas, où il dirige le Laboratoire de la tromperie humaine.

Rien de nouveau

Les exemples récents mentionnés dans l’amorce de cet article démontrent que Joe Biden n’a pas tourné le dos aux fabulations qui avaient contribué à torpiller sa première campagne présidentielle, en 1988. Il s’était alors inventé des ancêtres mineurs de charbon en plagiant un discours de Neil Kinnock, chef du Parti travailliste britannique, tout en prétendant faussement être le premier membre de sa famille à avoir fréquenté l’université.

Lors de cette même campagne, il s’était également targué d’avoir décroché trois diplômes universitaires, fini dans la « première moitié » de sa classe à l’école de droit et bénéficié d’une « bourse scolaire complète ». Rien de cela n’était vrai.

Dans un article publié en octobre dernier, le New York Times a rappelé ces inventions, tout en fournissant des exemples plus récents. Le même mois, en s’adressant à des sinistrés de l’ouragan Ian, en Floride, Joe Biden a déclaré que la foudre avait presque détruit sa maison il y a 15 ans. Une semaine plus tôt, en parlant de Porto Rico, île dévastée par les ouragans, il avait affirmé avoir été « élevé dans la communauté portoricaine à la maison, politiquement ». Rien de cela ne correspond à la réalité.

Autre exemple : en 2019, Joe Biden a raconté s’être rendu en Afghanistan pour remettre une décoration militaire à un soldat qui avait repêché le corps d’un autre combattant américain dans un ravin de 18 mètres. La vérité ? Le soldat a été décoré à la Maison-Blanche par Barack Obama.

Mais elle semble loin, l’époque où Joe Biden devait payer pour ses fabulations. Le tribalisme politique explique en partie le phénomène, selon Christian Hart.

« C’est la raison pour laquelle nombre de républicains disent encore qu’ils voteront pour Donald Trump, même s’il est aussi un menteur en série. Ce qu’il leur a apporté était bien plus important que n’importe quel inconvénient lié aux mensonges », dit le professeur de psychologie.

« Dans le cas de Biden, je dirais que la raison pour laquelle il est encore perçu de façon favorable, malgré ses mensonges éhontés, tient au fait que ceux-ci ne causent aucun préjudice évident et direct au peuple. Il essaie seulement d’élever son propre statut ou son estime au sein de la population. »

Et George Santos ? L’histoire politique américaine a-t-elle connu un plus grand fabulateur ?

« Non », répond Christian Hart, dont le livre à paraître s’intéresse en particulier aux grands menteurs de la politique. « On me demande comment il se compare à Donald Trump. Je dirais que Donald Trump est plus un bullshitter qu’un menteur. Nous pensons que les menteurs sont très habiles à manipuler la vérité de manière à se faire valoir, alors que lui ne semblait pas se soucier de savoir si ce qu’il disait était une vérité ou un mensonge. Il disait simplement ce qui l’arrangeait, que ce soit un mensonge ou une vérité. »