Ils vivent ensemble, étudient ensemble, s’entraînent ensemble. Ils deviennent des hommes ensemble. Au cœur de Thetford Mines, dans la région de Chaudière-Appalaches, l’Atelier 803 utilise le basketball comme outil pour former des citoyens responsables et accomplis. La Presse s’est incrustée dans le quotidien des 31 jeunes académiciens basketteurs, le temps de quelques heures…

En ce début avril, la route entre Montréal et Thetford Mines se déroule sans heurts. On ne peut toutefois dire la même chose pour les quelques chevreuils dont la carcasse repose le long de la route 165. En roulant vers la polyvalente de Thetford Mines, notre regard est attiré par les impressionnantes haldes, collines de résidus rocheux concassés créés par l’exploitation des mines d’amiante, encore recouvertes de neige en ce début de printemps.

Il est 14 h 30 à notre arrivée à la polyvalente. C’est ici qu’étudient et s’entraînent les joueurs de l’Atelier 803, anciennement appelée l’Académie de basketball de Thetford Mines. Vers 16 h, une fois leur journée de cours terminée, les académiciens s’installent dans une salle de classe pour une période d’études avant leur deuxième et dernier entraînement de la journée. Dans le local, c’est le calme plat ; chaque jeune se concentre sur le cahier devant lui. Certains ont laissé leur cellulaire sur un bureau, à l’entrée de la classe.

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Une fois leur journée de cours terminée, les académiciens s’installent dans une salle de classe pour une période d’études avant leur deuxième et dernier entraînement de la journée.

Trois personnes sont là pour les superviser : une tutrice, Marie-Claude Laplante, le directeur général de l’Atelier, Lerebson Oscar, et l’entraîneur adjoint, Kolia Konan.

L’école fait partie intégrante de l’Atelier 803. Pour tout dire, elle en est carrément le cœur : les jeunes doivent respecter des standards scolaires s’ils souhaitent rester dans le programme. En fait, l’académie est au Québec ce que les prep schools sont aux États-Unis.

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Lerebson Oscar, directeur général de l’Atelier 803

Ici, c’est l’école d’abord. Le basket, c’est juste ce qu’on utilise pour te motiver.

Lerebson Oscar, directeur général de l’Atelier 803

« Le but, c’est de faire des citoyens qui vont contribuer à la communauté et au développement économique. Comme on leur dit toujours : “s’il n’y a pas de basket, il faut que tu aies une autre voie”. L’autre voie, c’est l’école, apprendre un métier, avoir une passion autre que le basket. »

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Sébastien Fugère, professeur d’histoire

Sébastien Fugère, qui enseigne l’histoire à certains joueurs, constate au quotidien l’impact qu’a l’Atelier sur eux. « Il y en a qui sont plus performants, d’autres qui ont plus de difficulté, mais ce sont des jeunes qui sont hyper polis, note-t-il. Ils sont sérieux, même s’il faut parfois les ramener. »

Une rareté

Les 31 jeunes de l’Académie ont de 12 à 19 ans et sont originaires d’un peu partout au Québec, certains de la France. Ils sont divisés en trois équipes civiles sous l’étiquette Team Thetford : les Gris, les Noirs et les Rouges. Ce sont les Rouges qui forment l’équipe la plus compétitive. Les Gris et les Noirs font partie du processus ; ils sont, en quelque sorte, les futurs Rouges. Chaque équipe dispute environ 35 matchs par année dans différents circuits élites, au Québec et aux États-Unis.

  • L’entraîneur-chef Armel Mampouya donne ses instructions à Kamyl Beddaoudia.

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    L’entraîneur-chef Armel Mampouya donne ses instructions à Kamyl Beddaoudia.

  • Johson Bill tente de ravir le ballon à Hermann Koffi.

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    Johson Bill tente de ravir le ballon à Hermann Koffi.

  • L’entraîneur-chef Armel Mampouya observe ses joueurs lors de l’entraînement.

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    L’entraîneur-chef Armel Mampouya observe ses joueurs lors de l’entraînement.

  • Kamyl Beddaoudia tente d’empêcher Nikolai Panin d’inscrire un panier.

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    Kamyl Beddaoudia tente d’empêcher Nikolai Panin d’inscrire un panier.

  • Les 31 jeunes de l’Académie ont de 12 à 19 ans et sont originaires d’un peu partout au Québec, certains de la France.

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    Les 31 jeunes de l’Académie ont de 12 à 19 ans et sont originaires d’un peu partout au Québec, certains de la France.

  • Charles Anthony Koffi tente d’empêcher Florian Tegnan de lui ravir le ballon.

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    Charles Anthony Koffi tente d’empêcher Florian Tegnan de lui ravir le ballon.

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Lorsque l’Atelier 803 s’est établi à Thetford Mines, en 2014, après avoir passé deux ans à Alma, le groupe était surtout composé de jeunes Montréalais en quête d’une deuxième chance. Deux raisons expliquent le choix de la ville : la distance avec les frontières américaines et l’absence de distractions.

« Ici, tout est cadré, dit M. Oscar. [Les jeunes] l’acceptent, ils sont là pour ça. Si tu viens à Thetford, c’est parce que tu as choisi ce mode de vie là. »

Au fil des années, l’académie a aidé à remettre plusieurs jeunes basketteurs sur le droit chemin grâce à une routine stricte. L’exemple le plus connu est Chris Boucher, qui évolue aujourd’hui pour les Raptors de Toronto, dans la NBA. Il y a aussi Quincy Guerrier, qui a passé cinq ans à l’Atelier et qui joue en NCAA depuis quatre ans.

À ce jour, le groupe est surtout composé de jeunes qui ont été interpellés par l’histoire de ceux qui les ont précédés. L’entraîneur-chef, Armel Mampouya, est responsable du recrutement ; il ne recherche « pas forcément un jeune qui va être bon, mais un jeune qui a envie de travailler », explique-t-il.

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L’entraîneur-chef Armel Mampouya en compagnie de Jonhson Bill

On a deux entraînements par jour. Il faut aimer le basket. […] Parfois, j’ai pris des gamins dont le bulletin était catastrophique, mais je sais que c’est parce qu’ils n’avaient pas de vision. C’est ça que je recherche.

Armel Mampouya, entraîneur-chef

Si Chris Boucher et Quincy Guerrier sont de grands ambassadeurs de l’Académie, M. Mampouya ne mentionne jamais leurs noms dans ses échanges avec les joueurs.

« Ils sont tellement rares que je ne peux pas les utiliser comme exemple. Je préfère établir une fondation au niveau du jeune et le faire grandir plutôt que d’utiliser cet exemple-là, où le jeune pourrait se dire : “OK, c’est lui, l’exemple ?” […] Il va essayer de s’identifier à ça, et c’est tellement difficile. »

Les jeunes sont à l’Atelier de septembre à juillet. Une fois l’année terminée, M. Mampouya les rencontre individuellement. « On dit : “As-tu aimé ton expérience ? Est-ce que nous, on a aimé comment tu as travaillé ? Peux-tu aller plus loin ?” Si on est tous les deux d’accord, on continue. »

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« Le but, c’est de faire des citoyens qui vont contribuer à la communauté et au développement économique », explique le directeur général de l’Atelier 803, Lerebson Oscar.

Un impact qui « vaut mille fois la NBA »

Armel Mampouya a un emploi à temps plein en gestion de patrimoine. Il a une femme et deux filles. Et il est entraîneur-chef à l’Atelier. Du temps libre, il en a peu. Mais son travail auprès des jeunes lui est précieux.

« Ce qui me plaît, c’est l’impact que j’ai sur eux, dit-il dans un sourire. Charles Anthony [Koffi], c’est quelqu’un que j’ai vu grandir. Cet impact-là, ça vaut mille fois la NBA. Ce gamin-là, à un moment donné, il va aller à l’université et il va se rappeler toutes les leçons que tu lui as apprises. Ce sont des leçons sportives qu’il va être capable de placer dans sa vie. »

Lerebson Oscar a sensiblement le même discours. « Le fait de voir qu’on les aide, on en retire une gratitude », dit-il.

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« Ici, c’est une famille. Quand tu passes chez nous, c’est pour la vie », affirme le directeur général de l’Atelier 803, Lerebson Oscar.

« Ici, c’est une famille. Quand tu passes chez nous, c’est pour la vie. On garde contact tout le temps, on prend des nouvelles des jeunes. Il y en a plein qui étudient [aujourd’hui] en finances, dans d’autres sphères de la vie, et on est toujours fiers de les voir. On les encourage. »

Coéquipiers, colocs et frères

Une fois la période d’études terminée, vers 17 h 45, les joueurs de l’Atelier 803 remercient leur tutrice et filent se préparer pour leur entraînement. Leur enthousiasme de troquer les cahiers pour le ballon est palpable.

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Hermann Koffi et Jonhson Bill (14)

À même le vestiaire des hommes, les académiciens ont leur propre local transformé en un petit vestiaire de basketball. Au mur à l’entrée sont affichées les grandes lignes de la culture de l’Atelier : « Actif à chaque match », « Être un excellent coéquipier », « Sois élite dans ton rôle »…

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Le deuxième entraînement de la journée ne dure que 45 minutes.

Comme cet entraînement est le deuxième de la journée – le premier a lieu le matin à 7 h –, il ne dure que 45 minutes. Une fois la séance terminée, les jeunes se dirigent vers une petite cuisine aménagée près du gymnase, où un entraîneur leur a cuisiné du riz en grande quantité.

Une fois rassasiés, les joueurs sautent dans le petit autobus noir qui sert de navette. Au volant, le directeur général, Lerebson Oscar, mène le groupe à l’auberge où vivent la plupart des joueurs pendant l’année scolaire. Celle-ci est située dans le village voisin, Saint-Joseph-de-Coleraine, à une quinzaine de minutes de route de la polyvalente. C’est d’ailleurs l’adresse officielle de l’Atelier.

« Les jeunes ne peuvent pas quitter l’auberge sans nous » parce qu’elle est située loin de la ville, nous explique l’entraîneur-chef, Armel Mampouya, qui a lui-même grandi dans une structure semblable à celle de l’Atelier en France. « Si tu pars, on sait qu’une voiture est venue te chercher et on a la plaque d’immatriculation, parce qu’il y a des caméras. »

  • La plupart des joueurs sont logés dans une auberge située dans le village voisin de Saint-Joseph-de-Coleraine.

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    La plupart des joueurs sont logés dans une auberge située dans le village voisin de Saint-Joseph-de-Coleraine.

  • À l’arrivée à l’auberge, aux alentours de 20 h, les jeunes se dispersent. Certains sautent sur les restants de riz.

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    À l’arrivée à l’auberge, aux alentours de 20 h, les jeunes se dispersent. Certains sautent sur les restants de riz.

  • Le bâtiment, qui compte huit chambres, est propre et ordonné ; il le faut, ça fait partie des règlements.

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    Le bâtiment, qui compte huit chambres, est propre et ordonné ; il le faut, ça fait partie des règlements.

  • Les plus jeunes doivent être au lit à 21 h 30, les plus vieux vers 22 h.

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    Les plus jeunes doivent être au lit à 21 h 30, les plus vieux vers 22 h.

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Dans l’autobus, ça jacasse, ça se chamaille et ça rigole, même après une journée bien chargée. À l’arrivée à l’auberge, aux alentours de 20 h, les jeunes se dispersent. Un d’entre eux s’installe dans le salon avec ses livres scolaires, d’autres sautent sur les restants de riz. Les plus jeunes doivent être au lit à 21 h 30, les plus vieux vers 22 h.

Dans l’entrée, des dizaines de paires de chaussures de basketball sont alignées. Le bâtiment, qui compte huit chambres, est propre et ordonné ; il le faut, ça fait partie des règlements.

« On est beaucoup ! s’exclame Yannis Tchouameni, 17 ans et originaire de Lyon, en France. Beaucoup de garçons, donc beaucoup de forts caractères. Il y a quelques fois où ça explose. C’est normal. Mais il y a de l’ambiance ! On s’entraide tous. »

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De gauche à droite : Mamadou Dabo, Yannis Tchouameni et Nolan Diba

Même si tout le monde s’embrouille, en vrai, on est des frères.

Yannis Tchouameni

« Il y a un système pour la nourriture et le ménage. Tout le monde arrive à bien s’entendre », ajoute le jeune homme, qui a fière allure dans son ensemble de sport blanc.

L’entraîneur adjoint, Kolia Konan, et le directeur général, Lerebson Oscar, habitent tous deux à l’auberge avec les jeunes. Le premier faisait partie de la cohorte qui est passée d’Alma – première terre d’accueil de l’Académie – à Thetford Mines. Le Montréalais a évolué dans le programme pendant six ans. Il sait exactement ce que les jeunes vivent, à quel point la routine est exigeante.

L’Académie m’a appris à être un homme, à savoir qui je suis plus rapidement. J’ai été lancé vite dans le monde réel. Je n’avais pas mes parents avec moi, je devais trouver des solutions tout seul. Je devais grandir rapidement.

Kolia Konan, entraîneur adjoint

Aujourd’hui, il est entraîneur adjoint, mais aussi un grand frère pour les 31 jeunes. « Mon travail, c’est de les rendre un peu plus forts mentalement pour qu’ils soient prêts à affronter la vie. »

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Les frères Charles Anthony et Hermann Koffi

Une famille

Charles Anthony Koffi, 18 ans, en est à sa quatrième année au sein de l’Atelier 803. Il a décidé d’y rester après avoir terminé le secondaire, tout comme son frère jumeau, Hermann. Les frangins étudient au cégep de Thetford. Après les classes, ils se rendent à la polyvalente pour s’entraîner avec le groupe.

Quand il est arrivé à l’Atelier, il y a quatre ans, Charles Anthony souffrait d’une importante blessure à un genou subie l’année précédente.

« C’est eux [les intervenants de l’Atelier] qui m’ont sauvé, en quelque sorte, laisse-t-il entendre. J’ai vraiment eu un bon suivi ici, ils m’ont vraiment encadré pour que je puisse faire de la réadaptation et que je puisse reprendre les performances que j’avais avant, et même les dépasser. »

Depuis son arrivée à Thetford Mines, le natif de Québec juge avoir développé une grande discipline et un sens des responsabilités. Et il a trouvé une famille.

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Charles Anthony Koffi

On est ensemble la majorité de l’année. Dans mon cas personnel, je suis plus souvent à l’auberge que chez moi à Québec. Il faut savoir se tolérer et même développer une chimie les uns avec les autres. Ça se voit aussi sur le terrain de basket qu’on est ensemble.

Charles Anthony Koffi

Côté basketball, justement, « tout est mis en place » pour que les jeunes s’améliorent, croit Yannis Tchouameni. « On a deux entraînements par jour. Du coup, c’est beaucoup, c’est contraignant, mais c’est notre rêve. On est vraiment motivés. »

Le jeune homme ne regrette pas sa décision d’avoir quitté la demeure familiale de France pour le Québec. Il tire un « bilan positif » de sa première année à l’Atelier, « que ce soit sur le plan scolaire, sportif ou extrasportif », lance-t-il.

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« Ils veulent vraiment qu’on devienne la meilleure version de nous-mêmes. »

« On est loin de nos familles, il y a la météo, le changement, les entraînements, les coachs qui sont durs avec nous… Mais c’est bien, parce qu’ils veulent vraiment qu’on devienne la meilleure version de nous-mêmes. »

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