L’Assemblée nationale mènera bientôt un exercice démocratique que le gouvernement Trudeau n’a pas fait : consulter les oppositions et les experts au Parlement avant d’établir ses cibles d’immigration.

La question du « combien » alimente les discussions. Elle est pertinente, mais incomplète. Il en manque deux : « qui » et « comment ».

Quels immigrants sont comptabilisés, et en fonction de quels critères les a-t-on choisis ? Ces questions sont cruciales pour vérifier si on peut trouver un emploi, un logement et un cours de français pour tout le monde.

Le fédéral a sauté cette étape. Il s’en est remis à un rapport de conseillers économiques du secteur privé. Une de leurs recommandations : accueillir 500 000 immigrants par année pour presque tripler la population du pays d’ici la fin du siècle afin que le Canada devienne plus influent sur la scène mondiale. Un virage majeur imposé sans débat.

Le Québec est plus transparent. Mais d’un autre côté, il se met des œillères. Il ne parle pas des immigrants temporaires. Même s’ils sont devenus la catégorie la plus nombreuse, on ne les inclut pas encore dans le calcul des seuils.

La cible du fédéral constitue un biais d’ancrage.

Elle sert de référence tronquée. Elle fait croire que tout chiffre inférieur serait une fermeture à l’immigration.

Or, ce point de départ n’est pas au centre, et il n’est pas neutre.

Avant la pandémie, en 2019, le Canada accueillait respectivement deux et trois fois plus d’immigrants par habitant que la France et les États-Unis.

Ottawa va maintenant augmenter de 50 % ce nombre. En pourcentage de sa population, seule l’Allemagne aura un volume d’immigrants semblable.

Pour le logement, ce ne sera pas simple. Un rapport de Desjardins concluait l’hiver dernier que le rythme de construction devrait augmenter de 50 %. Et ça, c’est seulement pour maintenir le niveau actuel déficient.

Voilà le contexte dans lequel intervient la réflexion à l’Assemblée nationale.

Pour l’instant, il porte surtout sur l’immigration permanente.

Le Québec contrôle son immigration « économique » – les candidats sélectionnés selon leur âge, leur métier ou leur langue. L’autre volet, dit humanitaire, relève du fédéral. Il s’agit essentiellement des réfugiés et des réunifications familiales – des gens dont on a redécouvert la précieuse contribution durant la pandémie.

Pour la catégorie « économique », qui compose la majorité des immigrants permanents, le Québec choisit ses cibles. Cette liberté vient toutefois avec un prix. S’il ne suit pas le rythme record du fédéral, son poids démographique diminuera dans le pays.

Le dilemme : fragiliser le français en doublant l’immigration ou affaiblir l’influence du Québec.

D’ici la mi-juin, le gouvernement caquiste dévoilera ses orientations. Ce document fera l’objet de consultations publiques avec les experts et les élus. La ministre responsable, Christine Fréchette, déposera ensuite son plan.

Cet exercice prévu par la loi survient tous les trois ans. Mais cette fois, ce sera différent, et ce n’est pas seulement à cause du fédéral.

Il n’y a pas que Justin Trudeau qui change le visage de l’immigration. François Legault aussi. Sous sa gouverne, l’immigration temporaire a explosé, et il faudra bien en parler.

Notre débat sur les cibles est devenu déconnecté.

Les immigrants temporaires viennent ici en vertu de différents programmes cogérés par Québec et Ottawa. Les plus populaires, en ordre : étudiant étranger, travailleur devant être employé de l’entreprise l’ayant recruté, et enfin travailleur avec un permis ouvert qui peut choisir son boulot. Ce dernier programme est nettement moins fréquent.

En 2016, le Québec comptait à peine 12 000 immigrants temporaires. Ce chiffre a bondi. Il s’approche maintenant de 350 000.

À quoi bon s’affronter pour savoir s’il faut accueillir 40 000, 60 000 ou 80 000 immigrants permanents alors que tant d’autres personnes séjournent déjà ici ?

Certes, nombre de ces gens ne font que passer. Mais ils sont remplacés par d’autres. Ce qui fait en sorte qu’année après année, le même nombre de personnes restent sur le territoire.

Ce constat peut mener à différentes conclusions.

On peut l’utiliser pour restreindre les programmes temporaires. Ou du moins pour négocier avec Ottawa afin d’ajouter de nouvelles conditions pour le français.

On peut aussi y voir une preuve que ces candidats sont convoités par le marché du travail et que leur statut gagnerait à être pérennisé au lieu de les exposer à de mauvais traitements comme ceux vécus notamment par certains travailleurs agricoles.

À l’heure actuelle, Québec tient un double discours. Au nom de la survie de la nation, il limite le nombre d’immigrants à qui la citoyenneté est promise. Mais d’un autre côté, il multiplie la quantité de travailleurs qui contribuent à notre société sans bénéficier des mêmes droits que les autres, et sans subir les mêmes exigences pour le français.

Que faire, alors ? Ça se discute. Mais ne pas inclure l’immigration temporaire dans la réflexion, c’est débattre dans le vide.

Le 1er juin, Francisation Québec entrera en vigueur. Les cours de francisation seront bonifiés, promet-on. On s’attend aussi à ce que les caquistes renforcent le poids accordé au français pour évaluer les candidatures à l’immigration permanente.

Pour protéger notre langue officielle tout en répondant aux préoccupations pour l’économie et pour le logement, d’autres modifications gagneraient à être examinées.

La première : rétablir le Programme de l’expérience québécoise (PEQ) qui accélère le traitement des candidatures de travailleurs temporaires et étudiants étrangers voulant s’installer ici de façon permanente.

En début de mandat, les caquistes ont limité l’accès à cette voie rapide. Leur argument : le PEQ devenait si populaire qu’il réduisait les places restantes pour les candidats postulant au programme de base. Mais si la place manquait, c’était également à cause de la baisse temporaire des seuils d’immigration imposée en 2019.

La réforme du PEQ était controversée. Après tout, ces étudiants et travailleurs sont déjà au Québec. Ils ont un logement, un emploi ou un diplôme local. Et pour se qualifier au programme, ils ont prouvé leur maîtrise du français. Des candidats idéaux.

En contrepartie, si on s’inquiète pour le français, l’afflux d’étudiants étrangers à McGill et Concordia mérite d’être réévalué. Ne pourrait-on pas favoriser davantage ceux qui parlent français ? Le fédéral doit rendre des comptes. Dans les dernières années, malgré son discours inclusif, Ottawa désavantageait les jeunes africains francophones.

Enfin, les programmes devraient être simplifiés, comme les fastidieuses études d’impact exigées des employeurs avant de recruter à l’étranger.

Ma collègue Suzanne Colpron révélait samedi que des immigrants francophones boudent le Québec à cause des coûts et des délais.

La capacité d’accueil ne relève pas que d’un calcul technocratique. Elle dépend de choix politiques et mérite d’être débattue. Mais pour que l’exercice soit pertinent, cette fois, il faudrait inclure ceux qu’on a pris l’habitude de ne pas compter.