(New York) En 2021, le département de la Justice américain a revendiqué 42 302 verdicts de culpabilité dans les poursuites pénales que ses procureurs ont lancées à la grandeur des États-Unis contre seulement 128 verdicts d’acquittement, selon un rapport officiel.

À quoi attribuer une moyenne au bâton aussi impressionnante ? Au fait que les procureurs fédéraux réservent leurs inculpations pour les cas qu’ils ont de très bonnes chances de gagner, et ce, en vertu de critères stricts.

Façon de dire qu’il y a pour chaque cas au moins un avocat du diable parmi les procureurs qui cherche à trouver la ou les failles susceptibles de torpiller une poursuite éventuelle. Le cas de Donald Trump ne sera pas différent en ce qui a trait à son rôle dans les évènements qui ont mené à l’attaque du Capitole des États-Unis, le 6 janvier 2021.

Les membres de la commission du 6-Janvier sont persuadés que ce rôle doit valoir à Donald Trump d’être poursuivi pour quatre crimes, d’où leurs recommandations en ce sens adoptées à l’unanimité lundi dernier. Dans leur rapport final rendu public trois jours plus tard, ils ont accusé l’ancien président d’avoir orchestré « un plan en plusieurs parties pour renverser l’élection présidentielle de 2020 ».

Le département de la Justice n’est pas tenu de prendre en compte ces recommandations ou ces conclusions. Mais ses procureurs ne manqueront pas d’examiner à la loupe les transcriptions des quelque 1000 interviews réalisées par la commission du 6-Janvier au cours de son enquête.

Tout avocat du diable digne de ce nom verra ces documents d’un œil critique.

D’ordinaire, les procureurs ou enquêteurs fédéraux aiment être les premiers à interviewer un témoin potentiel dans une cause donnée. Or, le fait que des témoins clés aient déjà donné leur version des faits devant la commission du 6-Janvier augmente les chances qu’il se glisse plus tard des contradictions dans leur déposition ou témoignage. Contradictions dont les avocats de Donald Trump tenteraient de profiter.

Mais avant d’aller plus loin au jeu de l’avocat du diable, examinons les règles qui guident les procureurs fédéraux dans leurs décisions d’inculper ou non un suspect.

Selon le « Manuel de justice », les procureurs ne doivent « lancer ou recommander » des poursuites pénales que si « la conduite d’une personne constitue une infraction fédérale ». Qui plus est, les « preuves admissibles » doivent être « suffisantes pour obtenir et maintenir une condamnation ».

L’avocat du diable fixera son attention sur l’admissibilité des preuves. Ainsi, un des témoignages les plus percutants entendus devant la commission du 6-Janvier pourrait être amputé de ses éléments les plus accablants pour Donald Trump.

PHOTO JACQUELYN MARTIN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Cassidy Hutchinson prête serment en marge de son témoignage, le 28 juin dernier.

Cassidy Hutchinson, ancienne employée de la Maison-Blanche, a notamment raconté avoir appris d’un collègue que Donald Trump avait saisi son chauffeur à la gorge en constatant que ce dernier refusait de le conduire au Capitole après son discours du 6 janvier 2021.

Si les procureurs n’obtiennent pas une corroboration d’un témoin direct, un juge pourrait conclure qu’il ne s’agit que d’un ouï-dire inadmissible. Un avocat du diable pourrait trouver plusieurs autres ouï-dire du même genre.

Cela dit, il n’aurait probablement pas besoin de rappeler aux procureurs qu’un procès contre Donald Trump ne ressemblerait en rien aux auditions publiques de la commission du 6-Janvier. Les procureurs ne seraient pas les seuls à pouvoir interroger et choisir les témoins. Les avocats de l’ancien président pourraient mener des contre-interrogatoires serrés des témoins de la poursuite et appeler à la barre leurs propres témoins.

Les procureurs auraient en outre à prouver « au-delà de tout doute raisonnable » que Donald Trump a commis un ou plusieurs crimes.

Fardeau qui pourrait rendre difficile, voire impossible, la condamnation de l’ex-président pour le plus sérieux des crimes que la commission du 6-Janvier lui a imputés : l’appel à l’insurrection.

Les avocats de Donald Trump rappelleraient que la Cour suprême des États-Unis a protégé le genre de discours prononcé par leur client le 6 janvier 2021. Dans l’arrêt « Brandenburg contre Ohio », le plus haut tribunal américain a conclu que la liberté d’expression ne permettait pas d’interdire « la promotion du recours à la force ou de la violation de la loi sauf si cette défense est dirigée vers l’incitation ou la production d’une activité illégale, imminente et susceptible d’inciter ou de produire une telle action ».

La barre est très haute. Or, qu’a dit Donald Trump le 6 janvier 2021 ? Il a dit à ses partisans de « marcher » vers le Capitole et de se « battre comme des diables », expression que ses avocats qualifieraient de simple hyperbole tout en soulignant que leur client a également prié ses partisans d’y aller « pacifiquement et patriotiquement ».

Des procureurs pourraient faire valoir que ce discours n’est pas la seule raison d’inculper Donald Trump pour insurrection. Il y a aussi les 187 minutes où il n’a rien fait pour stopper la violence au Capitole. Mais l’avocat du diable pourrait avoir le dernier mot sur cette question, ainsi que sur les autres crimes dont la commission du 6-Janvier a accusé le 45e président, y compris la fraude à l’encontre du gouvernement des États-Unis et l’entrave à une procédure du Congrès.

Pour convaincre un jury que Donald Trump a commis ces crimes, les procureurs devraient prouver que l’accusé était conscient d’agir dans l’illégalité. Or, l’ancien président pourrait se défendre en réitérant ses convictions concernant la nature frauduleuse de l’élection présidentielle de 2020 et la légitimité juridique des conseils offerts par ses avocats, et notamment Rudolph Giuliani et John Eastman.

Un avocat du diable pourrait ajouter une question qui tue : comment prouver au-delà de tout doute raisonnable que le déni de Donald Trump n’était pas sincère ? N’a-t-il pas une hantise maladive de la défaite ?