Ma grand-mère Jobin a eu 11 enfants. Elle a pu « empêcher la famille » sans sentir qu’elle était une mauvaise catholique seulement après qu’un prêtre lui a dit qu’avec 11 enfants, elle avait « fait sa part ».

Du côté des Pedneaud, la grand-mère de ma mère est morte à 34 ans. Après avoir eu 13 grossesses. Dont huit se sont rendues à terme. De la souffrance pure.

Des familles de partout, des femmes de partout, pourraient raconter des histoires semblables. Au Québec, l’Église était toute puissante, elle contrôlait bien des vies et si elle a fait beaucoup de bien, elle a aussi causé beaucoup, beaucoup de souffrances.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

« Ce n’est pas pour rien que les Québécois sont passés en quelques années d’une des nations les plus religieuses au monde à l’une des moins pratiquantes », affirme Maxime Pedneaud-Jobin.

Il faudrait plus qu’une chronique pour rendre justice à ceux, et surtout à celles, qui ont souffert sous son joug. Je me contenterai de dire que ce n’est pas pour rien que les Québécois sont passés en quelques années d’une des nations les plus religieuses au monde à l’une des moins pratiquantes1.

C’est toute notre histoire qui nous pousse aujourd’hui à vouloir éloigner de l’État toutes les religions, et ce, dans les faits comme dans les apparences.

Je suis convaincu qu’une partie de l’appui à la loi 21 vient de ces blessures graves causées par l’Église.

Ces souffrances, nos souffrances, font vomir Amira Elghawaby, la nouvelle représentante fédérale de la lutte contre l’islamophobie.

En effet, alors qu’un professeur de philosophie de l’Université de Toronto écrivait que les Canadiens français étaient le plus grand groupe de personnes victimes du colonialisme britannique au Canada, la réaction de Mme Elghawaby a été de dire que cela lui donnait la nausée. Les souffrances des Québécois ne comptent pas, nous sommes les méchants dans son univers de préjugés, de jugements simplistes et d’ignorance.

Permettez-moi de donner un petit échantillon de ce qu’a voulu dire, pour nous, ce colonialisme d’abord britannique, puis canadien.

Pendant deux siècles, oui, deux siècles, nous avons été parmi les groupes sociaux les plus pauvres et les moins instruits de l’Amérique du Nord.

En 1960, nous avions, en moyenne, une année de moins de scolarité que les Noirs américains2.

Nous avons combattu des lois linguistiques racistes, notamment en Nouvelle-Écosse (1864), au Nouveau-Brunswick (1871), à l’Île-du-Prince-Édouard (1877), en Ontario (1912), au Manitoba (1890, 1896, 1916), en Saskatchewan (1909, 1929, 1931), en Alberta (1892, 1905) et aux Territoires du Nord-Ouest (1892). Durant des décennies, nous avons affronté les Orangistes et même le Klu Klux Klan du Canada3.

En 1961, dans un Québec français à 90 %, un francophone unilingue gagnait la moitié du salaire d’un anglophone unilingue, oui, la moitié.

Partout, chez les patrons comme chez les ouvriers, nous nous faisions dire « Speak White ».

J’arrête, je me donne la nausée à moi-même.

Auteur et économiste, Mario Polèse a écrit un livre riche et puissant qui fait, non pas la liste de nos souffrances, mais qui souligne les qualités dont les Québécois ont dû faire preuve pour se sortir de cette misère dans laquelle la Conquête, l’Église, le Canada anglais et leurs propres élites les avaient plongés. À faire lire à tous ceux qui, comme Mme Elghawaby, méprisent le Québec : Le miracle québécois, récit d’un voyageur d’ici et d’ailleurs, publié chez Boréal en 2021.

Un dernier mot

Durant mon passage à la mairie de Gatineau, comme bien des maires québécois⁠4, j’ai fait des efforts considérables pour favoriser le mieux vivre ensemble dans ma ville. Ce n’est pas une mince tâche de rapprocher les gens.

Il faut d’abord être animé par une volonté affirmée de construire quelque chose avec celui qu’on pourrait appeler « l’autre » et, pour y arriver, il faut à la fois de la nuance, de l’humilité (notamment pour reconnaître notre ignorance), une grande capacité d’écoute, un intérêt réel pour comprendre la souffrance de l’autre et la capacité de tenir des discussions difficiles, mais franches tout en démontrant du respect.

À l’évidence, Mme Elghawaby n’a aucune, mais aucune, de ces qualités. C’est une militante qui dénonce et déteste, pas une rassembleuse qui guérit. Ma grand-mère Jobin, une infirmière, lui dirait certainement qu’on ne guérit pas le mal par le mal. Elle devrait démissionner, non par respect pour les Québécois, elle n’en a pas, mais par respect pour la cause qu’elle défend.

1. Lisez « Les Québécois sont les moins pratiquants au Canada »

2. Conférence de Pierre Fortin, Montréal, 11 mai 2010. Citation tirée de la bibliographie de Guy Rocher par Pierre Duchesne, p. 40.

3. Lisez la page Wikipédia Ku Klux Klan in Canada (en anglais)

4. Villes interculturelles au Québec : Pratiques d’inclusion en contexte pluriethnique, dirigé par Bob White et Jorge Frozzini