(Anticosti) Dans une volonté de faire progresser le tourisme estival à Anticosti, la SEPAQ inaugure ces jours-ci une nouvelle auberge à Port-Menier où il est possible de séjourner en formule tout inclus, parmi les « cerfs de village ». Nous y sommes passés la semaine dernière, avant l’arrivée des tout premiers visiteurs.

C’était un voyage prévu depuis longtemps. Annulé une première fois l’an dernier à cause de l’apparition de la pandémie mondiale qu’on connaît, puis une deuxième à l’automne parce que le virus s’était frayé un chemin dans cette île isolée du golfe du Saint-Laurent. La patience est de mise pour séjourner à la nouvelle auberge Port-Menier, car, précisons-le d’emblée, l’établissement de 16 chambres, qui vient d’être reconstruit après l’incendie de 2011, affiche complet pour cet été et le suivant. Les réservations pour 2023 ouvriront le printemps prochain. En attendant, on peut toujours rêver.

Paradis de la chasse et de la pêche, Anticosti est réduit à cette simple expression dans l’esprit de bien des Québécois. Pourtant, cette île naturelle (la plus grande du Québec), qui s’étire sur 222 km de long au large de Havre-Saint-Pierre, est dotée d’une géologie calcaire à l’origine de paysages spectaculaires, des canyons majestueux aux falaises vertigineuses qui dominent le Golfe. Un passé géologique riche en fossiles qui attire des chercheurs du monde entier. Et c’est sans compter les cerfs de Virginie, renards, aigles à tête blanche et autres espèces d’oiseaux facilement observables, même (et surtout) au village.

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Le capelan a roulé à Anticosti, au grand bonheur des renards qui savourent les individus égarés.

Il y a aussi la fascinante histoire de cette île, jadis fréquentée par les Innus qui l’appelaient Notiskouan (« là où les ours sont chassés »), puis développée par le chocolatier français Henri Menier qui l’a acquise en 1895 pour en faire son territoire de chasse. L’île est ensuite passée entre les mains de la Consolidated Bathurst (la « Consol », comme on l’appelle ici) avant d’être rachetée par le gouvernement du Québec pour environ 25 millions de dollars, en 1974. Même les Allemands l’ont convoitée. Une offre d’achat signée par un certain Hermann Göring, en 1937, a été bloquée par le gouvernement de Maurice Duplessis.

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Sonia Michaud, guide-interprète à l’écomusée d’Anticosti, montre une photo du Château Menier, luxueux pavillon de chasse d’Henri Menier, qui a été incendié volontairement en 1953, par la société propriétaire de l’île.

« Anticosti, c’est une histoire naturelle et humaine », résume Sonia Michaud, résidante de l’île depuis 35 ans et volubile guide-interprète à l’écomusée d’Anticosti. Situé à l’intérieur de l’église, le charmant musée sera bientôt transformé en un centre d’interprétation qui fera une plus grande place à la richesse fossilifère de l’île.

C’est donc tout ça que la SEPAQ et la municipalité de L’Île-d’Anticosti souhaitent faire découvrir aux touristes qui fouleront le sol de l’île de juin à août. Fait inhabituel pour un produit de la SEPAQ, on ne se retrouve pas ici en territoire de parc national, mais bien à 150 km de là.

Une visite guidée en navette d’une journée permet d’aller y admirer brièvement les principaux attraits : le canyon Observation, la chute Vauréal, la baie de la Tour, l’épave du Wilcox.

Ceux qui le souhaitent peuvent également louer un véhicule pendant leur séjour pour aller voir d’autres splendeurs. Mais, parc national ou pas, la nature et surtout les épinettes sont partout à Anticosti.

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  • La chute Vauréal, haute de 76 m, est l’un des joyaux d’Anticosti. Lorsque le niveau d’eau est plus bas, on peut marcher dans le canyon pour rejoindre le bas de la chute.

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    La chute Vauréal, haute de 76 m, est l’un des joyaux d’Anticosti. Lorsque le niveau d’eau est plus bas, on peut marcher dans le canyon pour rejoindre le bas de la chute.

  • Apparu après le départ des grands glaciers du Wisconsin il y a 12 000 ans, le canyon de l’Observation s’étend sur environ 5 km.

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    Apparu après le départ des grands glaciers du Wisconsin il y a 12 000 ans, le canyon de l’Observation s’étend sur environ 5 km.

  • La baie de la Tour est impressionnante avec ses hautes falaises et son eau turquoise qui rappelle celle des Caraïbes.

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    La baie de la Tour est impressionnante avec ses hautes falaises et son eau turquoise qui rappelle celle des Caraïbes.

  • Pris au piège par le « rif » anticostien, près de 400 navires se sont échoués aux abords de l’île, dont le Wilcox, ancien dragueur de mines de la Seconde Guerre mondiale.

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    Pris au piège par le « rif » anticostien, près de 400 navires se sont échoués aux abords de l’île, dont le Wilcox, ancien dragueur de mines de la Seconde Guerre mondiale.

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Cette nouvelle offre de la SEPAQ arrive au moment où la municipalité souhaite faire progresser le tourisme sur son territoire. Selon le maire John Pineault, qui s’est opposé à l’exploitation pétrolière, le tourisme, moteur économique de l’île, constitue aussi son avenir et celui de ses 175 habitants. L’aménagement d’un sentier de longue randonnée de 475 km, qui en fera le tour, est aussi en cours.

Des consultations publiques menées par la municipalité ont aussi montré que les insulaires tiennent à leur quiétude. « On ne veut pas un tourisme de masse, précise M. Pineault. On veut un touriste curieux, qui veut apprendre sur les gens. On vit tout l’hiver pratiquement en autarcie et quand les premiers touristes arrivent, c’est un peu comme les outardes. »

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Le maire de la municipalité de L’Île-d’Anticosti, John Pineault

Or, il y a un obstacle de taille au développement du tourisme : le coût du transport. « Il faut être réaliste, ça va toujours être une destination qui va être un peu dispendieuse », dit celui qui prêche pour un lien interrives entre la Gaspésie, Anticosti et la Côte-Nord.

Entre 8000 et 10 000 touristes visitent Anticosti chaque année et beaucoup séjournent en pourvoirie, loin de Port-Menier, le seul village de l’île. « Le concept d’une île, une ville, on connaît ça ! », lance le coloré maire, Gaspésien d’origine, qui est aussi plongeur et depuis peu producteur de miel et éleveur d’huîtres.

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John Pineault élève 4200 huîtres dans sa ferme ostréicole de l’Anse-aux-Fraises.

Des huîtres dont tout le monde parle au village, mais que peu ont eu la chance de goûter puisque Manowin, sa jeune entreprise, est encore à l’étape d’obtention des permis. D’ici leur récolte l’automne prochain, à marée basse à l’Anse-aux-Fraises, on peut admirer les huîtres qui respirent l’air marin dans des barillets installés sur des tables françaises boulonnées dans le roc.

Nouvelle auberge

La nouvelle auberge vient bonifier l’offre d’hébergement au village, qui n’était jusqu’à présent composée que de trois gîtes et un camping municipal situé à l’écart. Décorée sobrement, avec goût, l’auberge fait face à la mer. On y mange extraordinairement bien grâce à l’équipe de Francis Perras, ancien d’Héritage Saint-Bernard, à Châteauguay.

Aménagé en bordure de la baie Gamache (nommée d’après Louis-Olivier Gamache, ancien résidant de l’île qu’on a surnommé Le sorcier), Port-Menier n’est composé que de quelques rues. On y trouve un magasin général, une épicerie, une église, une boutique d’artisanat, un jardin communautaire, le casse-croûte Chez Mario ainsi qu’une école qui n’accueille qu’une quinzaine d’enfants. Après la 2secondaire, les élèves doivent quitter l’île pour aller étudier sur le continent.

Vivent aussi au village quelques dizaines de cerfs de Virginie qu’on sent moins discrets que les résidants. Ils vous accueillent à votre arrivée à l’hôtel, se pointent le bout du nez dans la porte-fenêtre de votre chambre le matin et broutent sur les terrains des résidences. Ces cerfs domestiqués n’ont pas peur des caresses et contrairement à ailleurs au Québec, il est possible de nourrir les chevreuils d’Anticosti.

  • Une scène qui se joue presque chaque jour à l’auberge Port-Menier

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    Une scène qui se joue presque chaque jour à l’auberge Port-Menier

  • Le directeur de la restauration et chef cuisiner Francis Perras prépare des grillades pour les clients.

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    Le directeur de la restauration et chef cuisiner Francis Perras prépare des grillades pour les clients.

  • Les chambres de l’auberge Port-Menier sont simples et bien décorées.

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    Les chambres de l’auberge Port-Menier sont simples et bien décorées.

  • L’assiette de homard du restaurant de l’auberge, Le Henri-Menier, un spécimen fraîchement pêché au large d’Anticosti.

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    L’assiette de homard du restaurant de l’auberge, Le Henri-Menier, un spécimen fraîchement pêché au large d’Anticosti.

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Selon les années, entre 80 000 et 130 000 cerfs de Virginie vivent sur le territoire. Mais comme le nombre d’habitants, le nombre de chevreuils dans l’île varie aussi selon la personne à qui on s’adresse. Même le dernier relevé, qui dénombrait 38 000 cerfs en 2018, est contesté, explique Maxime Dubé, responsable du service à la clientèle à SEPAQ Anticosti. Leur introduction dans l’île par Henri Menier à la fin du XIXsiècle en a bouleversé l’écosystème, éradiquant l’ours noir et une bonne partie des feuillus et des sapins.

Un riche passé

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Le géologue André Desrochers devant la falaise du cap de la Vache-Qui-Pisse. Professeur à l’Université d’Ottawa, il a publié de nombreux articles scientifiques sur les sites fossilifères d’Anticosti.

Mais, bien avant les chevreuils, les loutres de rivière, le renard roux et les autres mammifères indigènes, ont vécu à Anticosti des gastropodes, trilobites, brachiopodes et crinoïdes… des êtres vivant dans l’océan. C’est que 443 millions d’années avant notre ère, à la fin de la période géologique de l’Ordovicien, ce qui est aujourd’hui Anticosti était situé au sud de l’Équateur, sous l’eau. Et tout ça est accessible, non seulement aux scientifiques, mais aussi aux visiteurs au gré d’une simple balade sur les plages de galets.

« Anticosti a capturé 10 millions d’années d’évolution de la vie sur Terre, mais aussi une période critique : la première extinction du vivant, 85 % des espèces vivant dans la mer ont disparu d’un seul coup à l’échelle de la planète et Anticosti est le meilleur laboratoire naturel pour étudier ce phénomène », explique André Desrochers, géologue au nom prédestiné, qui mène des recherches dans l’île depuis 35 ans. C’est d’ailleurs là que nous l’avons rencontré.

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Sur cette plaque, trouvée au pied de la falaise du cap de la Vache-Qui-Pisse, on voit de nombreux fossiles de crinoïdes (les mini-Cheerios !), des animaux invertébrés qui ressemblent à une plante, ainsi que des fossiles de brachiopodes, des animaux anciens munis de coquilles.

Depuis des années, il travaille à l’inscription d’Anticosti sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, un dossier important pour la petite municipalité. En 2017, Anticosti a été ajouté sur la liste indicative des sites du patrimoine mondial au Canada, une étape essentielle pour un dépôt de candidature à l’UNESCO qui devrait avoir lieu à la fin de l’année. André Desrochers, qui agit à titre de directeur scientifique du comité de pilotage, est confiant : « Le dossier est solide comme du roc. »

À Anticosti, les fossiles sont si nombreux qu’on vous permet de glisser dans vos valises cinq petits échantillons, récoltés sur le littoral. Pour rapporter un chevreuil, par contre, il faudra revenir à l’automne.

Les frais de ce voyage ont été payés par la SEPAQ.

Lisez « Anticosti : guide pratique du tout-inclus et autres options »