Il vous arrive de m’écrire et de me suggérer de mettre la main sur tel ou tel document grâce aux lois sur l’accès à l’information. Ce mécanisme donne parfois de bons résultats, mais très souvent, il mène à peu de chose.

Les médias détiennent certains outils, mais les moyens pour les organismes publics de les contourner sont nombreux.

Je vous parle de cela, car j’émerge d’un long et laborieux exercice de demande d’accès à l’information qui témoigne des obstacles et des limites qui accompagnent ces lois.

À la suite de deux chroniques sur l’avenir du Silo no 5, en novembre et décembre derniers, j’ai demandé à mon collègue William Leclerc, chargé de faire ces demandes auprès d’organismes publics à La Presse, d’obtenir l’ensemble des communications écrites au sujet de ce dossier entre la Société immobilière du Canada (SIC) et le promoteur Devimco, de même qu’entre la Ville de Montréal et la SIC, de février 2019 à décembre 2021.

Le 8 décembre, William (dont je salue la patience et la persévérance) m’écrit pour me dire que mes « demandes sont dans la machine ».

Quelques jours plus tard, le Service du greffe de la Ville de Montréal nous dit qu’étant donné que notre demande porte sur des documents qui sont détenus par l’arrondissement du Sud-Ouest, la requête sera acheminée à cet endroit.

Mais le lendemain, on nous apprend que c’est plutôt l’arrondissement de Ville-Marie qui détient ces documents. Notre demande est donc redirigée.

Une semaine plus tard, l’arrondissement de Ville-Marie nous dit qu’il n’a pas la responsabilité de ce dossier et que le Service du greffe de la Ville de Montréal se fera « un plaisir de répondre à notre demande » par l’entremise de son Service d’urbanisme.

Nous voilà donc fixés après ce petit périple au pays de la bureaucratie.

Mon collègue William Leclerc fait toutefois part aux personnes concernées de son étonnement de voir qu’aucun de ces arrondissements ne détient des documents relatifs au projet de revitalisation de la Pointe-du-Moulin. Les mois passent et, le 10 mars dernier, alors que nous commençons à nous impatienter, on nous annonce qu’on a finalement retrouvé 194 pages de courriels.

Je suis passé à travers ces nombreux échanges au cours du week-end. Sans surprise, ils ne contiennent rien qui vaille. À travers des dizaines et des dizaines de courriels, on tente d’organiser des rencontres ou des visites sur le site de la Pointe-du-Moulin avec des représentants de la Ville et de la SIC.

De janvier à septembre 2020, la rédaction d’un énoncé de l’intérêt patrimonial de la Pointe-du-Moulin rassemble une douzaine d’employés de la Ville et de la SIC et engendre une quantité impressionnante de commentaires sur certains aspects du texte.

Serez-vous surpris si je vous dis que la grande majorité des commentaires provenant de la direction de la SIC (Vieux-Port de Montréal) au sujet de cet énoncé ont été caviardés ?

Bref, on se rencontre, on discute, on fait des visites et des remue-méninges, mais rien de tout cela ne fait l’objet de conclusions ou de réflexions écrites.

De son côté, la Société immobilière du Canada, propriétaire du site, a réglé notre demande en deux temps, trois mouvements. Dans un courriel envoyé le 17 mars dernier, soit près de trois mois après notre requête, on nous a informés qu’on avait identifié 3216 pages en lien avec notre sujet.

Mais « étant donné que l’on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que la divulgation des documents cause un préjudice important aux intérêts financiers de la Société immobilière du Canada en ce qui concerne une vente future de la propriété, [la SIC a] décidé de ne pas divulguer les informations demandées ».

En effet, la loi prévoit qu’un organisme peut refuser de communiquer des renseignements lorsque ceux-ci peuvent nuire à des négociations ou des intérêts économiques. On peut donc en conclure que la SIC mène actuellement des négociations et que les 3216 pages de documents identifiés portent là-dessus.

Bref, pour la SIC, rien de ce qu’elle possède n’est transmissible au public et rien ne peut aider les citoyens à comprendre ce que l’on veut faire avec le Silo no 5 (désaffecté depuis 1994) ou pourquoi ce projet piétine depuis des années.

Les limites des lois sur l’accès à l’information, tant au fédéral qu’au provincial, sont régulièrement montrées du doigt. Les cas de documents exagérément caviardés, comme cela vient d’arriver à un journaliste de Radio-Canada (Thomas Gerbet a reçu un exemplaire de l’avis éthique émis à l’occasion du couvre-feu de décembre dernier entièrement caviardé avant de le recevoir dans sa version originale), suscitent beaucoup de frustration chez les journalistes. Et de perte de temps.

La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) souhaite depuis longtemps une refonte de la loi provinciale. Mais tout cela reste lettre morte. Le 20 mars dernier, le ministre responsable de l’Accès à l’information, Éric Caire, a déclaré qu’une refonte de la loi n’était pas nécessaire.

« Le problème de l’accès à l’information, c’est que tout repose sur la base d’une demande d’accès à l’information. Or, aujourd’hui, la tendance mondiale est au gouvernement ouvert », a-t-il dit à un journaliste de Radio-Canada.

Je n’ai rien d’autre à ajouter !

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