Les commerçants du Palais des congrès de Montréal se disent exaspérés et démunis devant l’augmentation du nombre de sans-abri dans le bâtiment. Un problème d’image pour la métropole et d’insécurité pour eux ainsi que pour leurs employés, dénoncent-ils.

L’administration du Palais ne quantifie pas cette hausse, mais vient de créer un comité spécial pour réfléchir à la situation.

Chaque matin, c’est le même scénario : rapidement après l’ouverture de la galerie commerciale, des groupes importants de sans-abri s’y rassemblent. Le complexe est situé à la jonction entre le centre-ville et le Vieux-Montréal, un secteur qui abrite plusieurs services destinés à cette population.

« Ça fait peur »

La Presse a pu discuter avec les propriétaires de huit des commerces installés dans le couloir principal du bâtiment, soit la majorité d’entre eux. Leur diagnostic est sans appel : les sans-abri sont plus nombreux que jamais, les évènements regrettables aussi. Ils évoquent des vols, des cris, des demandes d’argent agressives et d’autres incivilités.

« Dans notre boutique, on est juste des femmes qui travaillent ici, des fois, on est toutes seules. C’est très insécurisant pour nous. Ce n’est pas qu’on les juge, mais ça fait peur », a affirmé Karman Au, de Sky Cadeaux et Fleurs.

Je ne sais pas si ça prend un incident qui arrive pour les réveiller et [qu’ils réalisent que] c’est un problème.

Karman Au, de Sky Cadeaux et Fleurs

Sa voisine de local, Tan Dip, exploite un salon de coiffure : « Ça s’est empiré et d’après moi, cet hiver, ce sera encore pire. »

Vincent Daou, qui exploite deux succursales Van Houtte aux deux extrémités du couloir, dépeint une vraie crise. « C’est épouvantable. C’est devenu intolérable cette année, ça devient grave », a-t-il dit en entrevue. Le restaurateur a d’ailleurs écrit une lettre ouverte pour dénoncer la situation : « Nous avons de plus en plus de difficulté à recruter et à conserver nos employés, lesquels refusent de travailler dans des conditions aussi difficiles. »

En face de l’un de ses cafés, un Tim Hortons : « Ça n’arrête jamais : ils dérangent les employés, ils dérangent la clientèle », résume le propriétaire Abdul Zara. Son collègue Youssef Santa, qui exploite une franchise de Subway, voit les choses du même œil. « Dans les derniers mois, c’est vraiment terrible. […] Ils crient sur les employés, ils insultent tout le monde. »

« Actions concrètes »

Le Palais des congrès a refusé la demande d’entrevue de La Presse. « Il s’agit d’un débat de société plutôt qu’un débat privé », indique un courriel signé par « l’équipe média du Palais ».

L’organisation affirme travailler avec des groupes communautaires qui peuvent intervenir auprès des sans-abri. Par ailleurs, le « Palais travaille activement à la mise en place d’un comité interne visant à poser des actions concrètes pour s’assurer que tous et toutes puissent profiter d’un centre de congrès sécuritaire ». Le groupe accueillera notamment un commerçant.

Il s’agit d’une situation que nous prenons particulièrement à cœur, à la fois pour nos commerçants et locataires, mais aussi pour les personnes en situation d’itinérance qui voient dans les espaces du Palais un lieu de repère.

Extrait d’un courriel du Palais des congrès

Les commerçants critiquent les instructions données aux agents de sécurité du palais qui – selon eux – refusent d’intervenir à l’intérieur des commerces. « La sécurité du Palais ne fait rien parce qu’ils disent que comme il est chez Tim Hortons ou chez Van Houtte, ce n’est plus de leurs affaires », a déploré par exemple le galeriste Pierre Antoine Tremblay. « Il n’y a rien qui se fait. »

Quant au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), il ne peut pas intervenir à l’intérieur du Palais des congrès comme il le ferait dans la rue.

« On ne se décharge pas d’une responsabilité, mais il y a des enjeux légaux qui font qu’on ne peut pas intervenir » aussi simplement, a expliqué l’inspecteur Simon Durocher, chef du poste de quartier 21.

Le policier ajoute ne pas avoir enregistré de hausse des interventions sur place, mais que ses équipes avaient rencontré un commerçant qui dénonçait la situation.

« Les gens ont faim »

Pour Annie Savage, du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), la situation du Palais des congrès est notamment le résultat de mauvaises décisions de la part des pouvoirs publics. La fermeture du refuge du Complexe Guy-Favreau en dehors des heures de sommeil peut pousser les utilisateurs vers la source de chaleur – et de nourriture – la plus près.

« Les gens ont faim, les gens dorment mal, il fait froid », a-t-elle souligné en entrevue téléphonique. « C’est le résultat d’une mauvaise coordination des réponses et d’un manque d’investissement. On s’est préoccupé du problème en contexte de crise sanitaire, on a ouvert toutes sortes de lieux, mais clairement, ça va très, très mal sur le terrain. » Elle croit qu’un centre ouvert toute la journée est nécessaire.

La Old Brewery Mission, située tout près du Palais des congrès, sera appelée à siéger au comité spécial qui vient d’être créé. « Notre perception de la clientèle au Palais des congrès, c’est que ce ne sont pas tous nos résidants – ça, c’est évident. […] Et ce ne sont pas tous des gens en situation d’itinérance, ça peut être des gens en état de précarité, qui ont des dépendances, etc. », a dit la porte-parole Marie-Pier Therrien.