L’ensemble du conseil d’administration d’Hockey Canada et son chef de la direction, Scott Smith, ont finalement annoncé mardi se retirer pour « faire place à une nouvelle liste d’administrateurs », dans la foulée de sa gestion critiquée d’allégations d’agression sexuelle mettant en cause des joueurs juniors.

« Un comité de gestion intérimaire sera formé pour superviser l’organisation jusqu’à ce qu’un nouveau conseil d’administration nomme un nouveau chef de la direction à la tête de l’organisation », a indiqué la fédération sportive dans un bref communiqué.

Hockey Canada reconnaît du même coup « le besoin urgent d’un nouveau leadership et de nouvelles perspectives ». Le conseil d’administration affirme qu’il demandera à ses membres de « de désigner un nouveau groupe d’administrateurs et d’administratrices au plus tard lors de l’élection virtuelle », qui est prévue le 17 décembre prochain.

« Le conseil d’administration ne se présentera pas à cette élection, mais remplira ses obligations fiduciaires jusqu’à ce qu’un nouveau conseil d’administration soit élu », explique aussi l’organisation.

Outre Scott Smith, sept autres membres qui étaient toujours actifs au sein du conseil d’administration quittent donc le navire : Terry Engen d’Eckville en Alberta, Kirk Lamb de Calgary, John Neville de Markham en Ontario, Barry Reynard de Kenora en Ontario, Mary Anne Veroba de Lampman en Saskatchewan, Bobby Sahni de Toronto et Goops Wooldridge de Milton Station, à l’Île-du-Prince-Édouard.

Bonne décision, mais…

Sur la scène politique, tous partis confondus, on a fait valoir que l’organisation n’était pas forcément au bout de ses peines, en dépit de ce pas dans la bonne direction.

« C’est une bonne première étape, mais nous savons qu’il y a un changement de culture qui doit se faire à Hockey Canada. Il va y avoir beaucoup de travail à faire dans les semaines et les mois à venir pour regagner la confiance des Canadiens, et surtout des parents canadiens », a réagi le premier ministre Justin Trudeau.

Et le fait que les hauts dirigeants de Hockey Canada aient « pris trop de temps » avant de finalement jeter l’éponge témoigne du fait que la culture toxique était bien enracinée, puisque l’« organisation ne comprenait pas à quel point c’était grave », a-t-il enchaîné en marge d’une annonce économique à Sorel-Tracy.

La ministre des Sports, Pascale St-Onge, avait tenu des propos similaires avant son patron.

« C’est un premier pas afin de restaurer la confiance des Canadiens. […] Nous attendons que le conseil d’administration par intérim soit composé de gens qui veulent faire de réels changements », a-t-elle soutenu, plaidant notamment pour « un meilleur encadrement des joueurs, et un environnement exempt de violences sexuelles et de discrimination ».

Je suis déterminée à continuer de travailler avec nos partenaires, incluant les athlètes eux-mêmes, sur la réforme du sport au Canada afin que tous les organismes qu’on finance soient plus transparents et imputables.

Pascale St-Onge, ministre des Sports

En point de presse, Mme St-Onge a insisté sur le fait que ses équipes seront « très vigilantes » pour s’assurer que le nouveau conseil d’administration sera « aussi motivé et déterminé que nous à faire les changements nécessaires ». « Je m’attends à ce qu’il y ait une plus grande diversité de personnes au sein du conseil d’administration », a-t-elle soulevé, en parlant d’un « mélange » à atteindre entre connaissances du hockey, gouvernance et prévention des violences sexuelles. « Il y a un énorme travail qui attend l’organisation. Et pour moi, ce n’est pas qu’une question d’image », a aussi évoqué Mme St-Onge. Un audit financier sur Hockey Canada est par ailleurs toujours en cours, a-t-elle ajouté.

Sur Twitter, le critique bloquiste en sports, Sébastien Lemire, a affirmé que ces démissions laissent « enfin entrevoir la possibilité sérieuse d’en venir au changement de culture longtemps demandé et attendu ». « Les enquêtes devront suivre leur cours et nous continuons de réclamer une enquête indépendante afin de faire la lumière sur la gestion opaque et datée qui a cours au sein de Hockey Canada, et soumettre l’organisme à un réel examen de ses pratiques », a-t-il dit.

Un autre député qui talonnait les patrons de l’organisation en comité parlementaire, le néo-démocrate Peter Julian, a prévenu la fédération qu’elle aurait dorénavant « la lourde tâche de rassurer la population canadienne que la culture toxique d’abus et d’inconduite sexuels, qui a été constamment tolérée et proactivement mise sous silence pendant beaucoup trop longtemps, ne le sera plus au sein de l’organisation ».

Ces derniers jours, la pression était devenue très forte du côté politique. « On a perdu confiance en Hockey Canada. Il est temps qu’ils partent », avait notamment insisté le premier ministre Justin Trudeau.

Hockey Québec, qui avait été la première fédération provinciale à affirmer qu’elle retiendrait les frais de participation de 3 $ que les joueurs versent chaque année à Hockey Canada, a aussi estimé que cette refondation « permettra de poser un nouveau regard sur les défis à relever ». « Il est essentiel de nous assurer que les futurs administrateurs posent des gestes concrets pour effectuer des changements en profondeur. […] Nous serons actifs afin de proposer des solutions », a affirmé la fédération.

À la recherche de candidats

Pour la suite, Hockey Canada se dit à la recherche de candidats « souhaitant bâtir l’avenir de l’organisation ». « Nous invitons les personnes qualifiées à répondre à l’appel de candidatures lancé par le comité des candidatures indépendant la semaine dernière », affirme la direction.

Le comité de gestion intérimaire « concentrera ses efforts sur le fonctionnement courant de l’organisation, tout en veillant à l’avancement de la mise en œuvre du plan d’action de Hockey Canada ». L’un de ses mandats sera « la mise en œuvre complète » des recommandations de l’examen indépendant de Thomas Cromwell, cet ancien juge de la Cour suprême qui s’est vu confier le mandat de réviser la gouvernance de l’organisation. « Hockey Canada continuera d’informer le public au sujet de ces importants changements et du travail en cours », conclut la fédération.

Cette refondation complète survient alors que la liste des commanditaires larguant Hockey Canada continue de s’allonger. Le fournisseur officiel d’équipements, Bauer Hockey, a annoncé mardi rompre ses liens financiers avec les équipes masculines. Bauer s’ajoutait ainsi à une longue liste de partenaires cruciaux, comme Tim Hortons, la Banque Scotia, Telus, Nike ou encore Canadian Tire.

Depuis le mois de mai, Hockey Canada tentait de justifier sa gestion des contrecoups d’un viol collectif qu’auraient perpétré huit joueurs d’âge junior en juin 2018. Le printemps dernier, la fédération nationale avait conclu une entente à l’amiable avec la femme qui en aurait été victime après que celle-ci eut déposé une poursuite au civil contre ses possibles agresseurs, la Ligue canadienne de hockey et Hockey Canada.

Le Globe and Mail avait révélé l’existence de deux fonds méconnus, en partie alimentés par les cotisations des jeunes joueurs et joueuses de partout au pays, dont la mission était notamment de dédommager les victimes d’agression sexuelle. On sait que l’un d’eux, le Fonds d’équité nationale, a été utilisé précisément à cette fin. De 1989 à 2022, en puisant dans différentes sources de financement, Hockey Canada a versé des millions de dollars à 22 victimes, a-t-on appris pendant l’été.

Différentes pratiques ou décisions de Hockey Canada ont également été mises en lumière au fil des semaines et des mois. La fédération s’est satisfaite d’un rapport incomplet produit par une firme chargée de mener une enquête sur l’agression alléguée de 2018. Elle a diffusé de fausses informations au public sur celle qui en aurait été victime. Elle a aussi fait circuler chez les parents de joueurs un sondage leur demandant s’ils jugeaient « exagérées » les critiques exprimées dans les médias. La Presse a par ailleurs dévoilé, vendredi dernier, que Hockey Canada s’était adressé aux tribunaux pour empêcher le gouvernement fédéral de divulguer des informations financières délicates pour l’organisme.

Avec Simon-Olivier Lorange et Mélanie Marquis, La Presse