La fermeture des écoles au printemps n’a pas donné grand choix aux parents : ils devaient faire l’école à la maison. Pour certains, ç’a été une révélation.

L’idée de faire l’école à la maison a toujours attiré Jennifer Morgan et Patrick Ménard. Quand Talya a eu l’âge d’entrer à la maternelle, ils l’ont tout de même inscrite à l’école. Ses frères et sœurs l’ont suivie : Gaëlly, Élyas et Meryck. Si la tendance s’était maintenue, les deux derniers, Éloyck et Rosyamé, seraient aussi allés à l’école.

« La normalité, c’est qu’à 5 ans, les enfants vont à l’école, souligne Jennifer, assise sur un coin d’ombre de son vaste terrain à Napierville, en Montérégie. On a voulu faire comme tout le monde. »

Sauf qu’à la mi-mars, quand la pandémie de COVID-19 a été décrétée, la « normalité » a pris le bord, et les parents ont été contraints de faire l’école à la maison. Pour Jennifer, déjà mère au foyer, ça n’a pas été une contrainte ; ç’a plutôt été la découverte d’une passion. Le couple a même transformé une des quatre chambres à l’étage en petite classe, où six pupitres ont été installés.

PHOTO FOURNIE PAR JENNIFER MORGAN

Jennifer Morgan et Patrick Ménard ont transporté une chambre en classe, à l’étage de leur maison de Napierville.

« J’ai toujours fonctionné par passion dans la vie. J’espère que celle-ci va rester longtemps ! », lance Jennifer, tandis que ses enfants nous montrent un album qu’ils ont fait sur le geai bleu, après en avoir trouvé un sur le terrain. En septembre, si tout se passe comme prévu, la tribu poursuivra l’école à la maison.

« Jennifer a de bonnes idées », souligne Patrick Ménard, qui assure pour sa part l’enseignement des sciences et qui aide à tout imprimer et plastifier le matériel. « Quand je reviens de travailler, vers 15 h 30, je les découvre parfois en train d’écrire directement sur la table de verre avec des crayons à sec ! »

L’éducation à domicile sied bien à leurs enfants. Talya, qui s’imposait beaucoup de pression à l’école, a réappris à jouer. Gaëlly, autiste, « a gravi une montagne » en français et en mathématiques. Meryck, pour sa part, a continué à s’épanouir à l’extérieur du cadre de l’école (il avait été retiré de la maternelle en décembre, à sa demande, mais devait reprendre en première année).

Assis dans l’herbe, Meryck, 6 ans, se met à nous entretenir des abeilles. « Si on n’avait pas d’abeilles, on n’aurait pas de fruits, pas de miel », raconte-t-il avec entrain.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE PHOTO ROBERT SKINNER,

Jennifer Morgan et Patrick Ménard ont six enfants âgés de 3 à 10 ans. De gauche à droite, on voit Rosyamé (dans les bras de sa maman), Talya, Gaëlly, Élyas, Meryck et Éloyck (dans les bras de son papa).

« Meryck fait beaucoup de grandes conversations comme ça, qu’on voyait très peu avant, confie sa mère. On redécouvre chacun de nos enfants. »

L’impulsion qui manquait

Les Morgan-Ménard ne sont pas les seuls à avoir pris la décision de poursuivre dans cette voie en septembre. À l’Association québécoise pour l’éducation à domicile, on constate une augmentation de quelque 500 membres sur la page publique Facebook depuis le printemps, dont plusieurs ayant posé des questions sur les étapes à suivre pour officialiser la poursuite de l’éducation à domicile en septembre.

Parmi les motifs avancés, il y avait la crainte de contracter le virus chez les familles dont un membre risque des complications graves. D’autres ont tout simplement constaté des bienfaits pour leurs enfants et leur famille.

Certaines familles considéraient cette option-là, mais n’avaient jamais vraiment eu la petite impulsion pour faire le saut. La pandémie a été l’occasion de faire un essai et – pour ceux qui veulent poursuivre – de constater que ça a fonctionné avec leurs enfants et leur vie familiale.

Marine Dumond-Després, présidente de l’Association québécoise pour l’éducation à domicile

Des enfants ayant un profil plus intense – troubles d’apprentissage, douance, etc. – évoluent parfois très bien à la maison, avec un ratio adulte-enfant un pour un, souligne Mme Dumond-Després.

C’est exactement ce que Cynthia Quenneville a constaté avec sa fille aînée, qui a un trouble du déficit de l’attention. Suivie à l’école par une éducatrice spécialisée, la petite, qui est en quatrième année, devait mettre les bouchées doubles pour suivre le rythme de ses camarades, surtout en mathématiques.

PHOTO FOURNIE PAR CYNTHIA QUENNEVILLE

Cynthia Quenneville entourée de son conjoint Brian et de leurs filles Naomi, 10 ans, et Julia, 8 ans

Quand les écoles ont fermé, Cynthia était « un peu terrorisée ». « Ma fille était déjà de 8 h à 15 h à l’école, puis travaillait encore de 15 h 30 à 17 h 30 avec sa grand-maman, qui est retraitée de l’enseignement. Je croyais que je n’y arriverais jamais. »

Or non seulement Cynthia y est arrivée, mais en plus elle a découvert que le travail individuel fait des miracles pour sa grande.

Être capable de la faire progresser à son rythme, en attentant de voir l’étoile apparaître dans ses yeux, ça enlève tellement de frustration chez elle. Ça la garde positive, ça la garde en mouvement, et la matière passe bien.

Cynthia Quenneville

Les filles travaillent de 9 h à 15 h, mais les journées sont entrecoupées d’activités ludiques, comme du codage avec Minecraft et des tutoriels de piano sur YouTube. Première de classe, la cadette y trouve aussi son compte : elle peut progresser à un rythme qui la garde motivée, souligne sa maman.

Cynthia, une entrepreneure qui travaille par l’entremise des réseaux sociaux, entend donc poursuivre l’aventure en septembre. Elle a découvert des plateformes informatiques – dont Google Classroom – qui facilitent la gestion des travaux, dit-elle.

Jennifer Morgan, pour sa part, investit beaucoup d’heures dans sa nouvelle passion, mais paradoxalement, elle a l’impression d’avoir plus de temps, sans les allers-retours à l’école à l’heure du dîner et la pression des devoirs, le soir. Oui, elle traverse des périodes de doute, admet-elle, mais elle demeure confiante.

« Et l’entraide que mes enfants ont développée dans les derniers mois est vraiment extraordinaire, dit-elle. De voir ma grande aider sa petite sœur de 3 ans à écrire son nom ou son frère avec un problème de mathématiques… Je trouve ça vraiment formidable. »