Entretien avec la militante autodidacte et conférencière vedette de passage à Montréal

Cela fait plus de 20 ans. Et pourtant, malgré les années et bon nombre de réalisations, la militante environnementaliste est encore et toujours associée à la bombe hollywoodienne qui a incarné son personnage au grand écran. Toute une comparaison, on s’entend.

« Je suis Erin Brockovich, pas Julia Roberts ! » C’est ainsi que la grande blonde aux cheveux platine se présente, lorsqu’elle donne des conférences, notamment jeudi soir, au Palais des congrès de Montréal.

Parce que oui, Erin Brockovich était de passage dans la métropole, quoique pour une visite éclair de moins de 24 heures. La vraie Erin Brockovich, faut-il le préciser, était en effet au Sommet international de l’écocitoyenneté⁠1, en tant que conférencière vedette, aux côtés de l’ex-secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon.

« Oui, c’est énorme, je suis un peu dépassée, confirme la militante et autrice visiblement intimidée, rencontrée peu avant sa conférence jeudi. Je suis nerveuse. Mais c’est bon, la nervosité. Tant que ça motive à bien faire le travail ! » Et le travail, ici, n’était pas exactement en matière d’environnement. Elle nous a plutôt livré une importante leçon de motivation.

Grande, mince, en talons aiguilles et veston chic, tout de noir vêtue, exception faite de ses faux ongles rose pétant, Erin Brockovich n’a pas sa langue dans sa poche. Et on s’y attendait. Disons qu’elle est franche, limite raide et surtout sans filtre, exactement comme vous savez qui dans le film culte de Steven Soderbergh, en 2000. Avec une poignée d’années de plus, mais autant de détermination dans le ton.

PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

« J’ai 62 ans et quatre petits-enfants. […] C’est sûr que j’aimerais mieux ne pas être comparée », confie Erin Brockovich.

D’emblée, elle lance :

J’ai 62 ans et quatre petits-enfants. […] C’est sûr que j’aimerais mieux ne pas être comparée. C’est une actrice incroyable. Je me sens diminuée, parfois…

Erin Brockovich, militante environnementaliste

« Elle est glorieuse et vive, moi je ne suis pas toutes ces choses. »

Près de la réalité

N’empêche que le personnage, si vous voulez tout savoir, est bel et bien proche du vrai. « Oui, vraiment très vrai », confirme celle qui a depuis fondé sa propre boîte de consultation en plus d’animer deux émissions (Challenge America with Erin Brockovich et Final Justice).

À 30 ans, divorcée, chef de famille monoparentale, et sans trop d’instruction, dyslexique en prime (quoique ça, Julia Roberts ne l’était pas), la jeune femme aux décolletés plongeants qui remportait des concours de beauté a effectivement plus ou moins forcé la main de son avocat pour qu’il lui donne un emploi. « Je l’ai embêté jusqu’à ce qu’il me donne un boulot. J’ai toujours été un peu embêtante… »

Mais comment a-t-elle fait ? Parce que ce n’est pas tout. Rappelons qu’Erin Brockovich a ensuite fouillé, enquêté pour finalement révéler une affaire de pollution des eaux potables à Hinkley, en Californie. Avec son patron, l’avocat Ed Masry (Albert Finney dans le film), elle a surtout réussi à soutirer 333 millions au Goliath de l’énergie aux États-Unis : Pacific Gas & Electric Company. Un record pour une cause du genre à l’époque.

« Je suis dyslexique », répond-elle un peu à côté de la question, mais pas tant. « Très tôt dans la vie, j’ai compris que si vous ne rentrez pas dans les normes de la société, si vous ne correspondez pas exactement aux attentes, on vous rejette. »

On vous met dans une boîte, donc. « Et moi, parce que je m’habillais d’une certaine manière, à cause de ma façon de parler ou mon manque d’instruction, on s’est dit : mais comment elle a réussi tout ça ? » La réponse ? « Je suis intelligente », tranche-t-elle avec la détermination qu’on lui connaît. Fatiguée, surtout, de se faire dire qu’elle n’était ni avocate ni médecin. Mais elle rétorque.

J’ai des émotions, des sentiments, une réflexion. Si je vois les gens avoir peur, les animaux mourir, et l’eau verte, quelque chose me dit que ça ne va pas. Et voilà comment je me suis sentie obligée d’agir. Parce que si l’environnement est en péril, je suis en péril.

Erin Brockovich, militante environnementaliste

Une question de gros bon sens, quoi : « Il ne faut pas être un génie pour comprendre que si on a des grenouilles à deux têtes ou de l’eau trouble, on a un problème. »

« Il y a de l’espoir »

Certes. N’empêche qu’il fallait avoir du culot pour oser. Pourquoi elle ? Seule, envers et contre tous ? « Et pourquoi pas moi ? […] Il faut arrêter de se poser cette question : pourquoi moi ? Retournez la question : pourquoi pas ! […] Et c’est là que vous passez à l’action. […] C’est ça qui m’inspire », tranche celle qui a publié quantité de livres, dont le dernier, Superman’s Not Coming, porte précisément sur l’engagement citoyen.

Ce qui l’inspire aussi : « les gens ». « Parfois, je me dis que rien ne change. Mais ce qui peut changer et ce qui change : c’est nous, les gens ! Et ça, ça me revigore. Il y a de l’espoir, parce que nous faisons une différence. »

Erin Brockovich ne le cache pas : il y a dix ans, fatiguée, elle a tout de même songé à arrêter. « Et puis ma petite-fille est née. Alors je poursuis pour elle. » Morale ? « Il faut que les gens croient en eux », conclut la militante autodidacte. C’est aussi l’histoire de sa vie.

1. Lisez notre couverture de la première journée du Sommet international de l’écocitoyenneté