Première femme à occuper la présidence du Conseil de presse du Québec, Paule Beaugrand-Champagne quittera ses fonctions le 19 mai prochain. Pour cette pionnière au parcours professionnel impressionnant, défendre l’information de qualité restera toujours une priorité.

La première fois que j’ai interviewé Paule Beaugrand-Champagne, c’était en 2010. Fraîchement retraitée, elle avait reçu le prix Judith-Jasmin hommage de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). Celle qui a travaillé dans presque toutes les salles de rédaction du Québec, et qui aurait sans doute assez d’anecdotes pour écrire six nouvelles saisons de la série Scoop, n’est pas restée inactive bien longtemps. Je l’ai revue en 2014 lorsqu’elle a été nommée à la tête du Conseil de presse du Québec, succédant à John Gomery. Elle était la première femme à occuper ce poste, comme elle a été la première femme cadre à l’information de La Presse, dans les années 1960.

Paule Beaugrand-Champagne a occupé des postes partout, du Journal de Montréal à Radio-Canada en passant par Le Devoir, L’actualité et Télé-Québec, qu’elle a dirigé durant trois ans et demi au début des années 2000. Elle a également fait partie du groupe de journalistes recrutés par les fondateurs du quotidien souverainiste Le Jour, les René Lévesque, Jacques Parizeau et Yves Michaud, au milieu des années 1970.

Huit ans ont passé depuis notre dernière rencontre. On boucle la boucle, en quelque sorte, puisqu’elle s’apprête à quitter son poste à la tête du Conseil de presse qui célèbrera son 50anniversaire l’an prochain.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Paule Beaugrand-Champagne

Pour ceux et celles qui ne connaissent pas le Conseil de presse, et qui se demandent « ce que ça mange en hiver », disons que c’est un organisme qu’on pourrait comparer à l’Office de protection de consommateurs, mais pour les médias d’information.

C’est un « tribunal d’honneur » qui reçoit les plaintes du public, les étudie et distribue les blâmes au besoin. Il défend aussi la liberté de la presse et le droit du public à l’information. Composé de patrons des entreprises de presse, de journalistes et de citoyens, le comité des plaintes juge si une plainte est recevable. Le cas échéant, le journaliste interpellé doit venir expliquer sa démarche. On va se le dire, pour un journaliste, recevoir un blâme du Conseil de presse est assez douloureux. C’est une tache à son dossier, ce qui explique que les décisions du Conseil sont parfois contestées.

Malgré le caractère difficile de son travail (il n’est jamais agréable d’affronter le courroux d’un patron de presse fâché d’une décision), Paule Beaugrand-Champagne a aimé son expérience. « J’ai découvert des gens passionnés, dit-elle. Ils étaient vraiment intéressés par l’exercice. »

Selon elle, le mandat de l’organisme est de mieux en mieux compris. À preuve, les 684 plaintes l’an dernier, comparativement à 111 en 2010, en guise de comparaison.

En cette ère de fake news et de désinformation, la présidente du Conseil de presse observe que ce qui motive la majorité des démarches du public, c’est la quête de la vérité. « Les gens veulent savoir ce qui est vrai… »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Nathalie Collard rencontre Paule Beaugrand-Champagne

La déferlante Rioux

Parmi les moments marquants de son mandat, Paule Beaugrand-Champagne me cite « L’affaire Elisabeth Rioux ».

Lorsqu’une proche de l’influenceuse porte plainte contre des animateurs et des chroniqueurs de Québecor qui ont commenté l’apparence physique de Mme Rioux alors qu’elle dénonçait publiquement la violence conjugale dont elle était victime, la machine s’emballe.

La plaignante fait circuler un modèle de formulaire de plainte dans les réseaux sociaux. Résultat : le Conseil de presse reçoit 1391 plaintes ! « Le bureau était débordé, notre boîte de courriels paralysée », raconte Paule Beaugrand-Champagne qui rappelle que le Conseil n’avait jamais fait face à une telle tempête. « À 25 ou 50 courriels, on s’arrachait les cheveux, mais à 1400, c’était complètement fou. Il fallait tous les vérifier et donc les lire. Ce mouvement de copier-coller nous a forcés à réviser nos règles. Maintenant, quand il y a un très grand nombre de plaintes, on en retient 10 et les autres sont considérées en appui seulement. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Nathalie Collard et Paule Beaugrand-Champagne

La colère des boss

Ce n’est pas la seule crise que Paule Beaugrand-Champagne a gérée durant son mandat.

Elle se souvient de la réaction outrée de Radio-Canada lorsque son journaliste-vedette Alain Gravel a été blâmé pour le choix de certaines sources pour un reportage. « Radio-Canada a menacé de se retirer du Conseil de presse, Alain Gravel a parlé de nous à Tout le monde en parle… »

Après contestation, la plainte a été étudiée par un second comité d’examen et le journaliste a été blanchi. Le blâme a été retiré.

Mme Beaugrand-Champagne a également affronté la colère d’Éric Trottier, ancien éditeur adjoint de La Presse aujourd’hui à la tête du Soleil, à Québec. Lui aussi était mécontent d’une décision concernant son journal.

« Il représentait l’association des quotidiens au conseil d’administration, il était très en colère. En quelques mois, il est devenu le représentant le plus passionné du Conseil de presse. Il a donné de son temps comme c’est pas possible. Je lui ai même demandé de présider notre comité de financement. Il a fait la tournée du Québec pour aller chercher des appuis et solliciter de nouveaux membres tout en étant éditeur adjoint de La Presse, et après nous avoir crié après… [elle sourit] C’est le genre de passion que suscite le Conseil chez les journalistes… »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Nathalie Collard et Paule Beaugrand-Champagne

Les coffres sont vides

Cela dit, il serait faux de dire que TOUS les journalistes du Québec souhaitent devenir membres du Conseil de presse. Non. Un petit groupe d’irréductibles résiste. Lors de sa nomination, Paule Beaugrand-Champagne m’avait confié que son premier objectif comme présidente était de faire revenir Le Journal de Montréal et TVA nouvelles dans le giron du Conseil qu’ils avaient quitté à la fin des années 2000. « J’ai vraiment tout essayé, dit-elle. J’ai eu des rencontres avec eux, mais à un moment donné, ce fut silence radio… »

Non seulement a-t-elle échoué, mais le Conseil doit maintenant se défendre devant les tribunaux car les médias de Québecor soutiennent qu’en traitant les plaintes les concernant, le Conseil de presse porte atteinte à leur droit fondamental d’association, comme prévu dans la Charte des droits et libertés, un droit qui comprend « la liberté de ne pas s’associer ».

« Ils font sans doute ça pour nous jeter à terre, lance Paule Beaugrand-Champagne, mais jusqu’à maintenant, ils n’ont pas réussi. »

Il reste que le Conseil de presse, malgré sa résilience, dispose de moyens modestes. Avant de tirer sa révérence, sa présidente sonne l’alarme.

« Si notre subvention gouvernementale avait été indexée, on recevrait 50 000 $ de plus par année pour notre fonctionnement. Aujourd’hui, nos réserves sont limitées. Si ça continue, dans trois ans on n’aura plus d’argent. »

La balle est donc dans le camp du gouvernement. Car notre démocratie n’a certainement pas le luxe de se passer du travail essentiel accompli par le Conseil de presse du Québec.

Questionnaire sans fitre

Le café et moi : J’adore le café fort. Si on ne m’offre pas d’espresso, je préfère ne pas en boire. À une certaine époque, j’en buvais trois ou quatre par jour. Maintenant j’en bois moins.

Les gens que j’aimerais réunir à un souper, morts ou vivants : Je ferais une tablée de journalistes. On y retrouverait René Lévesque, que j’ai connu, un homme qui avait de l’humour, du charisme et du talent. J’inviterais aussi le journaliste et biographe français Jean Lacouture, qui m’a inspirée étant jeune journaliste, la grande journaliste Judith Jasmin et Katherine Graham, l’éditrice du Washington Post dont le parcours a été extraordinaire, et Albert Londres, un journaliste d’investigation du début du XXsiècle.

Les livres qu’on retrouve sur ma table de chevet : Les chiens de chasse, de Jorn Lier Horst (Gallimard 2018). Un roman amusant parce que des journalistes mènent leur propre enquête en parallèle avec le policier vedette. Et L’art de perdre, d’Alice Zeniter (J’ai lu, 2017). Pour son histoire du colonialisme et ses liens complexes avec la France.

Qui est Paule Beaugrand-Champagne ?

  • 1974 : Chef de la rédaction au quotidien indépendantiste Le Jour
  • 1976 : Fonde Le Trente, magazine de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ)
  • Elle a occupé différents postes à La Presse, au Devoir et au Journal de Montréal.
  • 2002 : PDG de Télé-Québec
  • 2005 : Éditrice de L’actualité
  • 2014 : Nommée présidente du Conseil de presse du Québec