La fin du lock-out de 2004-2005 qui a coûté à la LNH une saison complète d’activités est venue avec une ambitieuse promesse : celle de la « parité » dans le circuit.

Or, depuis le début de la pandémie de COVID-19, l’écart entre les équipes fortes et les équipes faibles est le plus important depuis 25 ans, confirme une compilation de La Presse. Le plafond salarial fixe des dernières années pourrait bien expliquer ce phénomène, estiment deux administrateurs d’équipes de la LNH.

Jamais, depuis 1997, le fossé entre les performances des bonnes et des mauvaises équipes n’a été aussi marqué. Les clubs les plus puissants le sont davantage qu’auparavant, et les clubs les plus faibles suivent la tendance inverse.

Aux fins de ce reportage, nous nous sommes intéressés non pas au nombre de points de classement, mais plutôt au taux de points accumulés (par exemple, 2 points sur 4 =,500). Cela afin de comparer les saisons dont le nombre de matchs n’est pas identique et d’inclure sans discrimination les verdicts nuls et les défaites en prolongation ou en tirs de barrage.

Afin d’atténuer l’impact des saisons hors norme (par exemple celle que viennent de conclure les Bruins de Boston), nous avons calculé la moyenne des cinq premières et des cinq dernières équipes du classement général pour chaque saison depuis 1997-1998.

Ainsi, au cours des trois dernières saisons, les équipes de tête ont signé leurs trois meilleures performances en un quart de siècle. De 1997 à 2020, une seule fois ce groupe avait-il dépassé la barre des,700. Voilà que ce seuil vient d’être franchi trois fois de suite.

Dans la cave, le constat est semblable. De 2006 à 2020, une seule fois la moyenne des clubs les plus faibles était-elle descendue sous les ,400. On vient là aussi d’assister à un triplé.

C’est en 2021-2022 que l’écart entre équipes fortes et équipes faibles a été le plus large. La cassure a été particulièrement éloquente dans l’Association de l’Est, où la dernière équipe qualifiée pour les séries éliminatoires a obtenu 16 points de plus que sa plus proche poursuivante.

L’écart entre les extrêmes s’est rétréci cette année — l’équivalent de deux points de classement environ. Mais la tendance demeure.

Effets limités

Trois évènements auraient notamment pu avoir un impact sur la disparité entre les équipes de la LNH : l’introduction du point accordé pour une défaite en prolongation, la fin des matchs nuls ainsi que l’imposition d’un plafond salarial et la création d’un système de partage des revenus.

D’abord, le point accordé après une défaite en prolongation, entré en vigueur en 1999-2000. En théorie, on aurait pu croire que cette mesure aiderait les équipes faibles. De fait, l’écart au classement a légèrement diminué au cours des années suivantes, atténuant en quelque sorte l’impact de l’apparition de quatre nouvelles franchises de 1998 à 2000.

Or, après cinq saisons, l’effet s’était estompé. En 2003-2004, les cinq équipes de tête ont accumulé 24 points après une défaite en prolongation. Les équipes faibles : 25.

La fin des matchs nuls, en 2005-2006, avec l’introduction des tirs de barrage, a créé davantage de points disponibles. Cette mesure, par ailleurs, a coïncidé avec l’imposition d’un plafond salarial et la création d’un système de partage des revenus entre les organisations.

Sans être immédiat, l’effet a été réel… mais éphémère. De 2005 à 2012, l’écart a été, avec constance, le plus faible de notre échantillon.

Le lock-out de 2012-2013 a semblé élargir de nouveau le fossé, malgré un resserrement en 2015-2016. Depuis, toutefois, la tendance est nette. Le groupe de tête s’éloigne du groupe opposé, avec une accélération évidente depuis 2020.

C’est à moment qu’a explosé le nombre de performances que nous qualifierons ici d’« extrêmes ». Nous avons classé les 749 équipes de notre échantillon de la meilleure (Bruins de Boston, 2022-2023, taux de points de ,823) à la pire (Thrashers d’Atlanta, 1999-2000, taux de ,238).

Nous désignons les performances « extrêmes » comme celles des deux tranches de 10 % (75 équipes chacune) aux extrémités du spectre. Les limites ont ainsi été fixées aux fiches supérieures ou égales à,665 et inférieures ou égales à ,421.

De 1997 à 2020, il n’y a pas de tendance réelle dans le nombre total de performances extrêmes. On remarque néanmoins qu’il n’y en a eu qu’une seule en 2007-2008, possiblement la saison de l’histoire moderne de la LNH où la compétitivité a été la plus élevée entre les formations.

Voilà toutefois que le nombre de performances extrêmes a monté en flèche depuis trois saisons : 39 au total, plus du quart du total des 25 dernières années. On notera que la campagne 2020-2021 était hautement hors norme, alors que deux équipes pouvaient s’affronter jusqu’à 10 fois. Le calendrier normal a néanmoins été rétabli l’an dernier.

Hypothèses

Pour tenter d’expliquer la tendance des trois plus récentes saisons, nous avons soumis nos données à deux administrateurs d’équipes de la LNH.

Instinctivement, les deux ont ciblé le même élément : le plafond salarial, demeuré presque inchangé depuis trois ans. De 2019-2020 à 2022-2023, il est passé de 81,5 à 83,5 millions.

La grande majorité des équipes se retrouvent ainsi avec des masses salariales tout près de la limite. Devant des offres égales ou similaires, les meilleurs joueurs sont-ils plus attirés par les meilleures équipes ? se demande l’un de nos interlocuteurs.

Autre suggestion, qui découle un peu du reste : les liquidations de la date limite des transactions. À ce moment, le salaire des joueurs est bien moindre que pendant l’été. Et les clubs faibles sont visiblement réceptifs aux offres. Au total, en 2022 et en 2023, les cinq dernières équipes du classement final ont échangé 15 et 18 joueurs réguliers, respectivement. C’est largement plus que les sept de 2016.

Et il y a, finalement, l’enjeu de l’autosabotage — le « tanking », en anglais. Les reconstructions sont plus longues qu’auparavant, concède un administrateur. Mais les clubs de la cave sont-ils systématiquement en reconstruction ? se demande l’autre.

On peut en effet avancer, sans se tromper, que les Blackhawks de Chicago ont volontairement coulé au classement pour obtenir un enviable choix au repêchage. Pari gagné : ils parleront au tout premier rang en juin prochain. Mais peut-on présumer que les Blue Jackets de Columbus, sans une hécatombe dans leur formation, auraient connu une saison aussi misérable ? Sans doute pas. Ce n’est pas le signal qu’ils ont envoyé, en tout cas, en offrant un contrat de presque 10 millions par année à Johnny Gaudreau l’été dernier.

Dans les cercles décisionnels, on considère plutôt l’idée de la parité comme celle d’une relative égalité des chances, du moins sur papier. En septembre 2022, qui voyait les Bruins de Boston ou les Devils du New Jersey aussi haut ? Ou les Blue Jackets aussi bas ?

Au premier tour des présentes séries, les champions des deux associations sont tombés aux mains des dernières équipes qualifiées, nous rappelle-t-on.

Va pour l’idée générale. Une fois la saison commencée, toutefois, la réalité est tout autre. Même si n’importe quelle équipe peut gagner un soir donné, le classement final, lui, ne ment pas. Et il ne crie pas parité.