(Ottawa) Le ministre du Patrimoine, Pablo Rodriguez, estime que le gouvernement est arrivé à « un bon compromis » en acceptant certains amendements proposés par le Sénat à son projet de loi C-11 sur les plateformes de diffusion en continu, mais en rejetant « ceux qui pouvaient créer un passe-droit pour certains ».

« Ça veut dire que tout ce qui est contenu commercial doit être inclus, qu’il soit sur une plateforme ou sur une autre. Donc, je pense qu’en allant de l’avant comme ça, on tient compte des besoins, des commentaires de tous d’une certaine façon et on vient appuyer le secteur de la musique », a-t-il dit mercredi avant de se rendre à la réunion du caucus libéral.

Il a ainsi expliqué la décision des libéraux d’écarter les changements souhaités par les sénateurs pour circonscrire quel type de contenu le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) pourrait réglementer ou non par pouvoir discrétionnaire.

Le projet de loi C-11 vise à moderniser la Loi sur la radiodiffusion pour y intégrer des plateformes de diffusion par internet telles que YouTube, Spotify et Disney+. Le gouvernement Trudeau souhaite assurer une meilleure « découvrabilité » des contenus canadiens.

Le Sénat a terminé son étude du projet de loi et l’a renvoyé avec ses amendements à la Chambre des communes pour la suite du processus législatif.

Dans une motion inscrite au feuilleton, le gouvernement indique qu’il souhaite envoyer un message au Sénat lui signalant quels amendements « La Chambre » refuse. Les députés seront d’abord appelés à débattre de la question dès mercredi, puis à voter à un moment qui reste à déterminer.

L’un des amendements de la Chambre haute rejeté par le gouvernement se voulait une réponse aux inquiétudes de créateurs de contenu que des utilisateurs des plateformes soient limités ou brimés dans ce qu’ils peuvent y partager. Les sénateurs voulaient rassurer plusieurs témoins entendus durant l’examen du projet de loi en précisant que le pouvoir du CRTC, si exercé, ne pourrait cibler que du contenu professionnel et non pas du contenu amateur, par exemple.

« L’amendement que nous proposons vise à concentrer l’article 4.2 sur la cible visée, la musique professionnelle, sans restreindre indûment la latitude du CRTC. […] Cela signifie en fait que les youtubeurs, les vidéos amateurs ou tout autre contenu non associé à la musique professionnelle ne sont pas visés par le projet de loi C-11 », avait expliqué la sénatrice québécoise Julie Miville-Dechêne en présentant cet amendement élaboré conjointement avec sa collègue de l’Alberta, Paula Simons.

En entrevue avec La Presse Canadienne, Mme Miville-Dechêne s’est dite « déçue » du rejet de cet amendement, « qui se voulait une forme de compromis ».

« On a étudié longuement ce projet de loi, on a vu une façon de clarifier quelques phrases pour que les gens qui lisent le projet de loi soient rassurés. Ça compte, ça aussi », a-t-elle résumé.

La sénatrice a souligné qu’elle appuie la pièce législative et qu’elle ne croit pas que cette dernière aurait un effet de « censure » ou brimerait la liberté d’expression. Cela n’empêche pas qu’il y avait lieu d’apporter des « clarifications » dans le texte législatif, croit-elle.

« Je pense qu’il y avait lieu de tenir compte des inquiétudes de tous ces nouveaux créateurs qui gagnent leur vie sur YouTube et qui voyaient le projet de loi C-11 comme étant une menace à leur gagne-pain. »

La sénatrice ne s’avance pas sur la possibilité qu’on assiste à un « ping-pong » législatif entre la Chambre des communes et le Sénat qui retarderait l’adoption du projet de loi.

« Il y a 80 % des sénateurs en ce moment qui sont des indépendants, donc on va devoir voir. Je pense que tout le monde va réfléchir à ça, lire les amendements, réfléchir à ce qu’ils vont faire, mais je n’oserais pas prédire ce qui va se passer », dit Mme Miville-Dechêne.

Le leader en Chambre des libéraux, Mark Holland, a quant à lui écarté du revers de la main la possibilité que les sénateurs tiennent éventuellement tête à la Chambre des communes.

« Je suis très confiant que le Sénat va accepter notre verdict », a-t-il soutenu à sa sortie de la réunion du caucus libéral. Selon lui, la « conversation » avec les sénateurs a été « bonne » et « très productive ».

Mais, dans un premier temps, M. Holland s’attend à voir, aux Communes « un vaste appui des élus », mentionnant que le Nouveau Parti démocratique et le Bloc québécois avaient été vocaux quant à leur soutien du projet de loi C-11.

M. Rodriguez a par ailleurs mentionné que « c’est le projet de loi qui a passé le plus de temps au Sénat ».

« Il a été étudié amplement à la Chambre et au Sénat. Maintenant, c’est le temps d’aller de l’avant. Les secteurs de la musique, de la télévision et du cinéma le demandent », a-t-il fait valoir.

Selon ses dires, le gouvernement donne son aval à « la grande majorité des amendements » du Sénat.

Le mois dernier, l’Association de professionnels de l’édition musicale (APEM) avait invité la Chambre des communes à rejeter quelques amendements du Sénat, dont celui à propos des réseaux sociaux.

Selon l’organisme qui représente les éditeurs musicaux francophones au Canada, « l’amendement à l’article 4 n’était pas nécessaire et est rédigé de manière problématique ».

« Le texte crée une échappatoire qui profiterait à des multinationales lorsqu’elles diffusent des vidéoclips. Cela est hautement problématique et aurait des répercussions sur l’ensemble des entreprises du système canadien de radiodiffusion. Il faut revenir au texte que la Chambre des communes avait adopté en juin dernier, il avait été longuement débattu et réfléchi », avait déclaré le directeur général de l’APEM, Jérôme Payette, dans un communiqué.

Or, YouTube, qui faisait pression pour un amendement précisant que les créateurs de contenus ne sont pas visés, a vertement critiqué le refus du ministre Rodriguez.

« C’est inexplicable et profondément troublant pour des dizaines de milliers de créateurs canadiens que les efforts du Sénat pour ajouter de la clarté pleine de bon sens à la législation soient rejetés », a réagi mercredi Jeanette Patell, responsable des affaires gouvernementales au Canada et des politiques publiques pour la plateforme de diffusion.

Le projet de loi a également attiré l’attention des États-Unis. Deux sénateurs américains ont notamment appelé à une répression commerciale contre le Canada au sujet du projet de loi C-11, affirmant que la future réglementation bafoue les accords commerciaux.

Le ministre Rodriguez a déjà indiqué, sur ce point, ne pas avoir d’inquiétude puisqu’il croit que la pièce législative est « conforme aux obligations commerciales ».

Avec Mickey Djuric, La Presse Canadienne