Le succès des vaccins contre la COVID-19 dépend en partie d’une biotechnologie canadienne peu connue. Les nanoparticules lipidiques mises au point par un chercheur de la Colombie-Britannique permettent aux vaccins de Pfizer et de Moderna de cibler efficacement le système immunitaire.

Nanoparticules lipidiques

Pieter Cullis a travaillé dans l’ombre pendant près de 40 ans. Le travail du biologiste de l’Université de Colombie-Britannique était admiré par ses pairs, dont certains le surnomment le « parrain des nanoparticules lipidiques ». Mais jamais il n’avait eu autant d’impact sur le monde entier ou vu des journalistes s’intéresser à son travail pointu. « Nous avons toujours travaillé en marge de la médecine, dit M. Cullis en entrevue. Voir notre œuvre s’imposer au cœur de la réponse à la COVID-19 est incroyable. » Les nanoparticules lipidiques sont des composés minuscules, 10 000 fois plus petits qu’un millimètre, qui servent à amener les vaccins à « ARN messager », ou ARNm, dans les cellules du corps humain. « Au départ, on avait développé les nanoparticules lipidiques pour entrer dans les cellules cancéreuses, pour éviter que les chimiothérapies n’endommagent des cellules saines. »

Les travaux de M. Cullis ont mené en 1995 à un premier médicament, qui emprisonnait dans une nanoparticule lipidique un médicament anticancer couramment utilisé, la doxorubicine. Mais 25 ans plus tard, les chimiothérapies à base de nanoparticules lipidiques ne constituent toujours que 0,5 % du marché des médicaments anticancers.

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ DE COLOMBIE-BRITANNIQUE

Pieter Cullis, biologiste

L’a b c de l’ARNm

Les instructions de fabrication des cellules de notre corps sont contenues dans l’acide désoxyribonucléique (ADN) de nos gènes. L’acide ribonucléique messager (ARNm) est une portion de nos cellules qui copient des portions de l’ADN et les transportent dans le ribosome, l’usine à protéines des cellules humaines. Ces portions d’ADN sont utilisées comme manuel de fabrication des protéines par le ribosome. Les vaccins contre la COVID-19 à ARNm amènent dans les cellules de la personne vaccinée les instructions de fabrication pour des protéines du SARS-CoV-2, le coronavirus responsable de la maladie.

De cette manière, ces protéines sont reconnues comme étrangères par le système immunitaire, qui est donc bien armé pour combattre le SARS-CoV-2. Le patient est immunisé. « Le problème, c’est que l’ARNm est fragile, dit M. Cullis. Il faut le protéger pendant qu’il voyage vers les cellules du système immunitaire. » Les nanoparticules lipidiques confèrent cette protection. De plus, quand elles entrent dans les cellules cibles du vaccin, un changement de polarité électrique les pousse à relâcher l’ARNm, qui se dirige alors vers le ribosome.

Pénurie

Jusqu’à l’an dernier, les livraisons de nanoparticules lipidiques se mesuraient en termes de grammes ou de kilogrammes. Mais avec les vaccins contre la COVID-19, il en faut maintenant des tonnes. Le difficile accroissement de la capacité de production explique en partie les retards de production au début de l’année, selon M. Cullis. Il a fallu aussi construire des centaines de machines injectant l’ARNm et les nanoparticules lipidiques pour que les deux portions du vaccin se fusionnent à haute vitesse.

Thérapie génique

Tout au long des années 1980 et 1990, M. Cullis a raffiné la formulation de ses nanoparticules lipidiques, notamment pour s’assurer qu’elles n’étaient pas toxiques pour le corps humain. Au début du millénaire, des entreprises travaillant sur des thérapies géniques l’ont joint dans le but de contrecarrer l’action de gènes défectueux responsables de certaines maladies. « Là aussi, il faut amener le matériel génétique visant à corriger ce défaut directement dans les cellules visées », dit M. Cullis. Les thérapies géniques visent généralement des maladies relativement rares, causées par un seul gène. L’un des médicaments élaborés avec les nanoparticules lipidiques de M. Cullis, Onpattro, vise une maladie ne touchant que 50 000 personnes sur la planète. La collaboration d’Acuitas, la firme de nanoparticules lipidiques de M. Cullis, avec BioNTech, firme allemande qui a mis au point le vaccin contre la COVID-19 maintenant produit par Pfizer, a commencé en 2014 avec des travaux sur des vaccins à ARNm contre le virus Zika.

Moderna

L’autre vaccin contre la COVID-19 à ARNm, celui de la société américaine Moderna, utilise aussi une nanoparticule lipidique. « C’est une formulation différente de la nôtre, mais il y a des similarités entre les deux systèmes, dit M. Cullis. Ils étaient au courant de nos travaux. » « Probablement que Moderna a développé sa propre formulation lipidique pour contourner les brevets de Cullis, car pour une petite biotech, payer des royautés, c’est souvent mauvais pour les affaires », dit Bernard Massie, gestionnaire à la retraite du Centre national de recherches du Canada qui a beaucoup travaillé sur la production de vaccins. « Mais ce faisant, elle a développé une formulation qu’on pourrait considérer comme améliorée, comme en témoigne la température d’entreposage de - 20 oC pour Moderna contre - 70 oC pour Pfizer. »

PHOTO JOSEPH PREZIOSO, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

L’autre vaccin contre la COVID-19 à ARNm, celui de la société américaine Moderna, utilise aussi une nanoparticule lipidique.

Le virus de la grippe

L’un des vaccins sur lesquels travaillaient BioNTech et Acuitas avant 2020 visait l’influenza, le virus de la grippe. Actuellement, les vaccins contre la grippe sont concoctés plusieurs mois avant que la maladie frappe, à partir de recommandations de l’Organisation mondiale de la santé publiées en février pour l’hémisphère Sud et en septembre pour l’hémisphère Nord. Trois ou quatre souches sont suggérées, en fonction de la technologie de production du vaccin. Mais souvent, les souches qui frappent sont différentes. A priori, les vaccins à ARNm pourraient être concoctés plus près de la saison, voire modifiés en cours de route, par exemple en janvier, ce qui les rendrait plus efficaces, parce qu’ils viseraient les bonnes souches. Il n’est pas rare que l’efficacité des vaccins antigrippaux actuels soit inférieure à 50 %.

En chiffres

600 millions US : investissements dans des firmes de vaccins à ARNm en 2019

5,2 milliards US : investissements dans des firmes de vaccins à ARNm en 2020

2 sur 15 : nombre de vaccins à ARNm parmi les 15 vaccins contre la COVID-19 approuvés dans le monde

5 sur 60 : nombre de vaccins à ARNm parmi les 60 vaccins contre la COVID-19 en développement dans le monde

Sources : Reuters et Regulatory Affairs Professionals Society