L’expansion hors Québec de Vidéotron ouvre un nouveau marché à Québecor. Cette occasion de croissance nécessite toutefois l’injection de milliards de dollars et est encadrée par des conditions ne devant pas être sous-estimées.

Les investisseurs doivent prêter attention aux concessions que Rogers et Québecor ont accepté de faire, affirme l’analyste Maher Yaghi, de la Scotia.

Une éventuelle modification de l’offre de produits et la surveillance réglementaire accrue constituent des risques non négligeables, souligne cet expert dans un rapport publié en réaction à l’achat de Shaw par Rogers et à l’acquisition de la filiale sans fil de Shaw, Freedom Mobile, par Vidéotron, autorisés vendredi par Ottawa.

Principales conditions acceptées par Vidéotron

• Offrir en Colombie-Britannique, en Ontario et en Alberta, sur une période de 10 ans, des forfaits au moins 20 % plus abordables que ceux des autres grands acteurs de l’industrie en date du 10 février 2023

• Investir plus de 150 millions dans les infrastructures de Freedom pour permettre à 90 % des clients d’avoir accès au réseau 5G d’ici deux ans

• Étendre le service mobile au Manitoba par le biais d’un accord d’opérateur de réseau mobile virtuel (MVNO) ou par d’autres moyens

• Bonifier de 10 % la limite de données locales des forfaits des clients actuels de Freedom sans frais additionnels

La structure du marché est, dit-il, appelée à changer dans l’industrie des télécommunications au pays, en particulier en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique, avec l’opération faisant de Québecor le quatrième acteur au pays dans le sans-fil. Une nouvelle dynamique est anticipée.

« Québecor n’aura pas une position concurrentielle aussi forte qu’au Québec », affirme le gestionnaire de portefeuille montréalais Philippe Hynes, de la firme Tonus Capital.

Investir dans Québecor était auparavant une façon de bénéficier de la croissance au Québec et de la position dominante de l’entreprise dans la province, précise-t-il.

Les marges risquent d’être un peu moins bonnes que ce que Québecor générait au Québec.

Philippe Hynes, gestionnaire de portefeuille de la firme Tonus Capital

Philippe Hynes ajoute que les temps sont plus difficiles pour les câblodistributeurs. « Les abonnements sont plus difficiles à aller chercher. Freedom apportera de nouveaux abonnés à la téléphonie cellulaire, mais ça vient avec le risque d’entrer dans un marché que Vidéotron connaît moins que son bastion québécois. »

La concurrence est prête

Québecor devra exécuter sa stratégie en protégeant la clientèle nouvellement acquise auprès de Shaw-Rogers alors que la concurrence a eu le temps de voir la situation venir depuis des mois.

Bien qu’il faille suivre les mesures de représailles des concurrents dans le marché québécois et les dépenses qui pourraient s’avérer nécessaires pour établir les activités hors Québec, Québecor bénéficiera notamment d’accords d’accès au réseau avec Rogers pour l’aider dans sa percée dans l’Ouest et en Ontario, soutient l’analyste Adam Shine, de la Financière Banque Nationale.

Cet analyste souligne que la croissance de Vidéotron a ralenti au Québec en raison du degré de saturation atteint par l’entreprise et de la diminution de l’immigration dans la province, qui a entraîné une croissance démographique relativement plus faible que dans les autres provinces canadiennes.

Québecor pourrait en surprendre plus d’un, selon Adam Shine. « Il semble que la barre sera initialement placée relativement [bas] », souligne-t-il dans un récent rapport de recherche.

M. Shine se demande par contre dans quelle mesure les engagements écrits envers Ottawa sur les prix à offrir auront une incidence sur la flexibilité à exécuter la stratégie d’expansion, mais il présume que la direction de Québecor s’est gardé une marge de manœuvre raisonnable.

La direction de Québecor doit, selon lui, réfléchir à la manière dont elle entend faire part aux investisseurs de sa stratégie pour les aider à suivre la progression et mieux saisir les perspectives de croissance. Le moment de communiquer viendra cependant assez rapidement, au plus tard lors de la publication de ses résultats de début d’exercice en mai.

Les investisseurs voudront savoir comment Freedom s’intégrera à Vidéotron, à quel rythme, et quel succès y sera associé.

« Lutte féroce »

Adam Shine s’attend à ce que Freedom adopte le nom de Fizz, le fournisseur de téléphonie cellulaire et internet à bas prix de Vidéotron, et que Québecor propose des services sans fil et une offre groupée en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique par l’entremise d’un accord de services d’accès internet de tiers avec Rogers.

Québecor a indiqué vendredi à La Presse qu’une entrevue avec Pierre Karl Péladeau n’était pas possible d’ici à la clôture de la transaction. Le grand patron de Québecor a néanmoins offert un commentaire par courriel.

Comme Vidéotron l’a fait dans le marché québécois, Freedom mènera une lutte féroce aux fournisseurs de services sans fil du Canada dans le but d’engendrer une baisse des prix au bénéfice des consommateurs.

Pierre Karl Péladeau, président et chef de la direction de Québecor

Le gestionnaire de portefeuille Stephen Takacsy, de la firme Gestion Lester, croit que Québecor sort gagnant de l’opération conclue avec Rogers et Shaw. « Le prix payé pour Freedom est inférieur à ce que le marché attendait », dit-il.

« Donc moins d’endettement que le marché prévoyait et surtout pas de dilution. Il n’y aura pas d’émission d’actions, un élément dont se souciait le marché. »

Les investisseurs ont réagi favorablement vendredi en faisant avancer l’action de Québecor à un sommet des 52 dernières semaines en Bourse. En forte hausse depuis l’automne, le titre a clôturé la séance de vendredi en hausse de 3 %, à 33,41 $, à Toronto. L’action valait 23 $ en octobre.