« Vous [les francophones] aimez sortir. Vous avez la joie de vivre ! Les anglophones, c’est plus difficile. Mais on commence à les avoir, à les sortir de la maison. »

C’est ainsi que Sid Khullar, président et fondateur de MtlComedyClub, résume la différence entre les fameuses « deux solitudes » lorsqu’il est question de fréquentation de spectacles d’humour.

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Sid Khullar, président et fondateur de MtlComedyClub

En ce jeudi soir de mai, au Deli Planet, situé à l’intérieur de la gare Centrale, à Montréal, on constate que Sid Khullar est plutôt modeste lorsqu’il dit « on commence ». Au fond du restaurant, qui ne ressemble en rien à un comedy club si on n’y jette qu’un coup d’œil en attendant le train, se trouve une belle et grande pièce remplie — environ 90 personnes — pour une autre comedy night. Une autre, car le petit frère de Sugar Sammy en produit 12… par semaine !

« J’en fais chaque jour ! J’en fais dans d’autres bars ou restaurants. Vendredi, samedi et dimanche, on a deux spectacles chaque jour. On va aussi à Laval, Vaudreuil, Hudson, Brossard… », énumère Sid Khullar.

Son modèle d’affaires est simple : il trouve des établissements en manque de clientèle. Il pige dans un bassin d’environ 150 humoristes anglophones. Il annonce les spectacles sur les réseaux sociaux et avec des listes d’envoi. Il vend le billet d’entrée entre 10 et 20 $ — les propriétaires conservent les profits de la nourriture et de l’alcool servis. Puis les salles se remplissent.

Sid Khullar a été gérant au ComedyWorks, avant sa fermeture en 2014. C’est à cet endroit qu’il a connu à peu près tout le monde du milieu. Il a également accompagné son frère à ses débuts sur scène. « J’étais en arrière, avec les autres humoristes, et je voyais plein de choses malades, se souvient-il. Les humoristes se battaient parfois parce qu’un pensait que l’autre lui avait volé des blagues. J’avais 16 ans et je n’avais même pas le droit d’être là, alors je restais dans mon coin. Mais c’était quand même de belles expériences. »

Obtenir sa chance

Comme la quasi-totalité des humoristes anglophones, Sugar Sammy a commencé sa carrière dans des soirées à micro ouvert. Cela ne signifiait pas pour autant que n’importe qui pouvait s’emparer du micro et raconter des farces.

« Quand je faisais du stand-up, j’appelais au Works et au [The Comedy] Nest, puis je priais pour qu’ils me rappellent afin d’obtenir de cinq à sept minutes dans un open mic, raconte Paul Ronca, aujourd’hui directeur du développement et des partenariats à Just For Laughs. C’était la seule façon, ici et partout en Amérique du Nord, de pratiquer son art. »

PHOTO FOURNIE PAR PAUL RONCA

Paul Ronca, directeur du développement et des partenariats à Just For Laughs, lors d’un récent voyage à Londres

Il soutient que bien des choses ont changé depuis, y compris la création de soirées comme celles de MtlComedyClub qui permettent à un plus grand nombre d’humoristes de monter sur différentes scènes. Certains organisent eux-mêmes leurs propres spectacles, ce qui était mal vu à l’époque, souligne Paul Ronca. Les réseaux sociaux ont également donné l’occasion à des humoristes de se faire connaître et de trouver leur public avant même de le rencontrer en personne.

« Il y a aussi beaucoup plus de spectacles qui témoignent de la diversité de notre ville, affirme-t-il. Dans mon temps, de 10 à 15 humoristes seulement pouvaient se développer sur scène, alors que les autres attendaient leur tour. Aujourd’hui, il y en a une centaine, ce qui nous donne plus de choix lorsque vient le temps de les faire monter sur nos scènes. »

Se démarquer

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Akeem Hoyte Charles animait les auditions de Just For Laughs au Deli Planet, le 4 mai.

Avant de rêver à une participation au festival Just For Laughs — qui demeure le plus important au monde —, il faut être repéré. La soirée à laquelle Sid Khullar nous a invités au Deli Planet était justement une étape dans le processus de sélection du festival. Animées par le talentueux Akeem Hoyte Charles, ces auditions regroupaient 10 humoristes qui avaient une dizaine de minutes chacun pour tirer le maximum d’éclats de rire de la foule. On peut affirmer que la majorité a réussi sa mission.

PHOTO FOURNIE PAR GINO DURANTE

Gino Durante sur la scène du Bordel

Avant de partir, je me suis entretenu quelques minutes avec Gino Durante, qui a présenté un numéro mélangeant l’anglais, le français et l’espagnol.

« Tu fais de l’humour depuis combien de temps ?

– Dix ans.

— En français aussi ?

— Oui, je vais souvent au Bordel. J’ai commencé en anglais, puis là, j’en fais de plus en plus en français. C’est différent, les blagues ne se traduisent pas toutes. En français, il y a un peu plus de soutien. Toute la semaine, les salles sont pleines. Mais pour réussir, il faut que tu sois drôle. S’ils t’aiment, s’ils embarquent, ils vont te suivre. »

Gino Durante n’est pas le premier ni le dernier qui souhaite faire rire dans les deux langues. Paul Ronca se souvient quand Maxim Martin, Mike Ward ou Sylvain Larocque venaient tenter leur chance en anglais lors de soirées à micro ouvert. Il se rappelle aussi très bien quand Sugar Sammy lui a demandé de faire un numéro en français dans son établissement, le Comedy Zone, qu’il a tenu de 2001 à 2005.

« Je ne l’avais jamais entendu parler français, alors ça m’a fait rire quand il m’a fait cette demande. Pas que je ne croyais pas en lui, mais j’en ai vu beaucoup qui ont essayé, d’un côté comme de l’autre, sans succès. Mais dès qu’il est monté sur scène, il a tout démoli. Si tu avais été avec moi ce soir-là, tu aurais dit toi aussi que ce gars-là allait devenir une star. »

Où voir de l’humour en anglais ?

The Comedy Nest est le seul comedy club traditionnel toujours en activité à Montréal. Situé dans le Forum, il présente des spectacles du mardi au dimanche. En plus des nombreuses soirées récurrentes de MtlComedyClub, d’autres lieux tiennent des évènements hebdomadaires ou mensuels. Le Bordel 2 et M Montréal proposent des soirées le mardi et le dimanche, respectivement, alors que la Maison du jazz, à Laval, fait rire sa clientèle en anglais un mardi par mois.

Consultez le site du Comedy Nest Consultez le site de MtlComedyClub (en anglais)

Le mot de Sugar Sammy

Le circuit humoristique anglophone montréalais, c’est là que j’ai fait mes preuves. C’est là que j’ai eu mes premières réussites, mes premiers échecs, que j’ai évolué comme auteur et humoriste. C’est un milieu difficile et complexe à naviguer. J’ai beaucoup d’affection et d’empathie pour ceux et celles qui passent par là. Les humoristes qui y baignent doivent travailler fort pour créer leur chemin. C’est la meilleure école que j’ai pu avoir. J’y ai appris beaucoup de leçons de carrière et de vie, et c’est devenu mon premier tremplin vers une carrière en anglais.

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