(Montréal) Ce curieux pays a accouché d’une nouvelle controverse bien à lui, ces derniers jours. Une personne qui aspire à devenir premier ministre du Canada devrait-elle être bilingue ?

Le commentariat et un moignon de la classe politique du Canada anglais se sont obstinés là-dessus la semaine passée, à la faveur d’une chronique de Ken Whyte dans le Globe and Mail dont le titre disait tout : « Do you need to be bilingual to be PM ? Pas du tout !  »

Une députée conservatrice s’est mise à jazzer à voix haute là-dessus sur Twitter, pestant contre la grande place du français dans la course conservatrice

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Peter MacKay lors d’une rencontre avec des militants, dimanche dernier à Ottawa.

Le débat a fait irruption au Québec vers la fin de la semaine dernière, quand il est apparu que le français de MM. O’Toole et MacKay, les deux principaux candidats au leadership conservateur, laissait manifestement à désirer.

Puis, dimanche, le Journal de Montréal a accouché d’une page couverture délicieuse, citant Peter MacKay dans le texte — dans le son, plutôt —, lors de sa conférence de presse : « J’AI SERA CANDIDATE » …

Échos du sketch de RBO mettant en vedette un faux Wayne Gretzky tentant de parler un français incompréhensible.

Le premier ministre du Canada n’est pas obligé de parler français. Je ne dis pas : « pas obligé d’être bilingue », car on n’imagine pas un PM ne parlant pas anglais.

Le PM n’est pas obligé de parler français comme il n’est pas obligé de se brosser les dents. Mais ça peut aider à se faire élire, je dis ça comme ça.

Si les conservateurs pensent qu’ils ont été décoiffés par l’indécision de leur chef sur l’avortement lors du débat de TVA l’an dernier, je les invite à acheter tout de suite des caisses de gel à cheveux s’ils pensent qu’un chef comme Peter MacKay — qui a du mal à lire le français dans un télésouffleur — pourra faire campagne au Québec sans problème avec un français de ce calibre-là.

J’ai lu des commentateurs au Canada anglais arguer que l’apprentissage d’une langue seconde n’est pas donné à tout le monde… C’est bien vrai. Mais ça n’a aucun rapport avec le débat qui nous occupe.

Bien évidemment que la commis aux comptes clients de Moose Jaw va trouver difficile d’apprendre le français, mais elle n’en a pas besoin.

Le cas de Peter MacKay est différent. Être chef de parti fédéral, c’est aspirer à être premier ministre du Canada, on s’entend là-dessus ? Parfait, on s’entend là-dessus. Peter MacKay est devenu le chef du (vivotant) Parti progressiste conservateur en 2003.

C’était il y a 17 ans, juste avant la fusion du PCC avec l’Alliance canadienne qui a mis au monde le Parti conservateur moderne.

Il y a 17 ans, Peter MacKay était donc déjà dans le club sélect des politiciens bien positionnés pour — peut-être, maybe — devenir un jour PM. Ses responsabilités ministérielles (Justice, Défense, Affaires étrangères) dans les gouvernements de Stephen Harper ont confirmé ce potentiel.

En 17 ans, Peter MacKay a passé beaucoup de temps à penser au poste de premier ministre, ce n’est un secret pour personne. Mais il n’a jamais trouvé le temps d’apprendre le français pour atteindre un niveau d’aisance respectable. Il faut en conclure qu’il s’en fiche.

J’ai pour ma part toujours voulu être journaliste, être chroniqueur. Je me suis toujours dit que ce serait une bonne idée de bien accorder mes participes passés et de savoir si squelette prend un ou deux l…

Je trouvais que ça faisait partie des compétences de base, pour accomplir mes ambitions.

La question n’est donc pas de savoir si le bilinguisme est à la portée du Canadien moyen, la question ici est de savoir pourquoi Peter MacKay, en 17 ans, n’a jamais trouvé important de concilier son ambition de devenir PM avec l’apprentissage du français.

Tout ça est à l’image du Canada réel, bien sûr. Dans le Canada imaginaire, le bilinguisme est l’affaire de tous, une sorte d’Éden citoyen. Dans le Canada réel, le bilinguisme, c’est très généralement des francophones qui parlent aussi anglais.

Dans le Canada réel, on peut se poser sérieusement la question (en anglais), à savoir si parler français est vraiment capital pour le chef d’un parti qui aspire à gouverner…

Dans le Canada réel, une députée qui baragouine l’anglais (Diane LeBouthillier) peut devenir ministre (Revenu), mais cet unilinguisme deviendra fatalement un sujet de curiosité alors que des députés unilingues anglos qui deviennent ministres ne sont jamais, jamais, jamais une curiosité, au Québec or elsewhere.

Ainsi, dans ce bien curieux pays, Mme LeBouthillier s’est fait reprocher il y a un an de ne donner que des réponses en français à la Chambre des communes.

Qui lui a fait ce reproche ?

Luc Berthold, député conservateur du Québec, francophone comme l’indiquent son nom et son prénom.

Or, qui M.  Berthold appuie-t-il dans la course au leadership du Parti conservateur ?

Peter MacKay, of course (6) !