Janie Perron se revoit dans sa chambre, adolescente, à regarder des vidéos de youtubeuses véganes. Des filles des États-Unis, de l’Australie, du Royaume-Uni. « Je les trouvais très convaincantes », se souvient-elle. Quelques années plus tard, dans le cadre de son mémoire de maîtrise, Janie Perron a voulu revisiter le discours de ces youtubeuses, mais avec la loupe d’une chercheuse. Ce qu’elle a relevé ? Des contradictions. Plusieurs contradictions.

Elle-même végétarienne, Janie Perron ne remet pas en question la pertinence du régime végane, loin de là. Son objectif, c’était d’analyser le discours véhiculé dans les vidéos de type My vegan story, un mouvement qui a eu une grande influence sur YouTube dans les années 2014 à 2017 — particulièrement auprès des jeunes filles. Elle a étudié 15 vidéos de youtubeuses anglophones ayant récolté des dizaines, souvent des centaines de milliers de visionnements.

« J’avais trois objectifs de recherche : regarder les valeurs véhiculées, mais aussi les normes de genre et la mésinformation. Et pour chacun des objectifs, j’ai identifié plusieurs contradictions, plusieurs oppositions dans leur discours », explique Janie Perron, diplômée du programme de maîtrise en communication publique de l’Université Laval.

PHOTO FOURNIE PAR JANIE PERRON

Janie Perron

D’une part, les youtubeuses soutiennent que, depuis qu’elles sont véganes, elles ne se restreignent pas. Pourtant, Janie Perron a relevé des commentaires qui tendent à démontrer le contraire. « Je ne recommande pas la consommation de sucre outre celui qui est déjà présent dans les fruits », dit une youtubeuse. « Je mange sans me restreindre, mais je mange jusqu’à ce que je sois à 80 % pleine », dit une autre. « Je mange à 90 % santé », explique une troisième.

Selon Janie Perron, ce type de discours reproduit les normes de genre. « Même si tu es une femme, tu peux manger beaucoup, mais il faut quand même que tu regardes le type d’aliments que tu manges et que tu t’assures de manger des aliments santé pour demeurer mince », résume-t-elle.

Bien que les youtubeuses évoquent aussi d’autres types de motivations (comme le bien-être animal et la préservation de l’environnement), l’analyse de leurs discours montre que c’est d’abord pour être minces qu’elles ne consomment plus de produits d’origine animale. « Ça se répétait vraiment dans les propos de tout le monde, et sous différentes formes », explique Janie Perron. Parfois de façon directe (« la diète végane m’a permis de passer de 190 livres à 130 livres ! »), parfois de façon indirecte. Janie Perron pense à cette youtubeuse qui disait que ses muscles n’avaient jamais été aussi définis. « Elle utilisait le terme de forme physique, mais finalement, elle parlait vraiment de minceur. »

Manque de rigueur scientifique

Autant Janie Perron croyait-elle ces youtubeuses sur parole lorsqu’elle était adolescente, autant son analyse lui a permis de constater que la rigueur scientifique n’est pas leur marque de commerce. Parce qu’elles n’ont pas les compétences nécessaires, des youtubeuses contribuent à propager de la « mésinformation nutritionnelle », souligne l’étudiante, dont le mémoire a été codirigé par une professeure de communication (Manon Niquette) et une professeure de nutrition (Sophie Desroches). La chercheuse fait d’ailleurs une distinction entre la désinformation, de nature intentionnelle et la mésinformation, qui ne le serait pas.

Des youtubeuses se targuent de rapporter des faits scientifiques, mais elles vont citer des documentaires-chocs au lieu de reportages nuancés, ou encore mettre de l’avant les résultats d’une seule étude au lieu de regarder l’ensemble de la littérature.

« Et une expérience individuelle, ce n’est pas la science ! », ajoute Janie Perron, qui avait été impressionnée, adolescente, par les histoires personnelles de ces youtubeuses véganes, qui soutiennent avoir des cheveux en santé, un corps tonifié, de l’énergie à revendre, une digestion facilitée…

Enfin, même si des youtubeuses disent valoriser l’ouverture à l’autre, certains de leurs propos laissent entendre que cette ouverture d’esprit vise d’abord à convertir d’autres personnes au véganisme.

Le courant My vegan story, qui a connu son apogée il y a quelques années, ne représente pas l’entièreté du mouvement végane en ligne, nuance Janie Perron, dont la recherche figure au tableau d’honneur de la faculté des études supérieures et postdoctorales. Sur TikTok, illustre-t-elle, les influenceurs véganes affichent aujourd’hui une plus grande diversité corporelle.