Puisque la nation réclame des propositions constructives, en voici une toute fraîche.

Prenez les gens qui demandent une nouvelle commission quelconque sur la santé, puis enfermez-les dans une pièce et forcez-les à lire tous les rapports déjà déposés, jusqu’à ce que presbytie s’ensuive.

À leur sortie, si cela arrive, demandez-leur ce qu’ils veulent savoir de plus.

À ceux dont l’espérance de vie empêche de se soumettre à un tel exercice, je suggère une version abrégée. Elle se trouve à la page 19 du rapport de la commissaire à la santé et au bien-être (CSBE), Joanne Castonguay.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Joanne Castonguay, commissaire à la santé et au bien-être

Elle l’écrit en caractères minuscules gras, mais comme je ne suis pas astreint à autant de politesse, j’enfonce la touche « MAJ » et je retranscris.

« IL S’AGIT D’ENJEUX QUI PERDURENT DEPUIS LONGTEMPS ET POUR LESQUELS DES SOLUTIONS SONT CONNUES. CELLES-CI N’ONT PAS ÉTÉ MISES EN PLACE, CE QUI A CONTRIBUÉ AUX RÉSULTATS INACCEPTABLES OBTENUS LORS DE LA PREMIÈRE VAGUE DE LA PANDÉMIE », observe la commissaire.

Avant la COVID-19, les rapports d’experts se comptaient par dizaines, et leurs recommandations se ressemblaient. En novembre dernier, la protectrice du citoyen a déposé son rapport sur la gestion de la pandémie. La CSBE a ajouté le sien mercredi.

Il fait près de 300 pages. On l’a survolé en diagonale et résumé dans les médias. Puis, le surlendemain, on était rendu à autre chose. D’autres opinions à chaud prenaient autant de place que ce rapport de chercheurs qui a requis 16 mois de travail.

Et, bien sûr, l’opposition réclamait à nouveau une commission d’enquête publique sur la pandémie.

Pourtant, on connaît l’essentiel de l’histoire. Les CHSLD étaient l’angle mort de Québec. Ils ont été préparés trop tard. Puis, le 12 mars, la directrice de l’association des CHSLD privés a sonné l’alarme, en vain. Des patients ont été transférés malgré tout dans ces établissements. Et, pour beaucoup, envoyés vers leur mort.

Un débat subsiste sur le fin détail de la chronologie, mais sur le fond, la conclusion reste la même : le gouvernement en est l’ultime responsable.

En se prononçant elle-même sur la pertinence d’une commission d’enquête, Mme Castonguay s’est invitée dans un débat partisan. J’y vois la maladresse d’une personne qui craint que son travail ne soit oublié.

Je comprends l’opposition de vouloir prolonger ce débat, mais une commission d’enquête n’est pas un procès. Son but est de discerner les failles systémiques et de recommander des solutions. Or, ces diagnostics se trouvent déjà dans les rapports de la protectrice du citoyen et de la commissaire à la santé.

En écrivant ceci, je n’essaie pas de ménager le gouvernement, bien au contraire. Si une commission d’enquête était déclenchée, elle servirait de prétexte pour reporter les actions urgentes. François Legault se contenterait de répéter qu’il faut « attendre le dépôt du rapport ». La machine du ministère de la Santé fonctionnerait aussi au ralenti pour se soumettre à cet exercice.

Le gouvernement caquiste est sur le gril. Que fera-t-il ? C’est sur cela qu’il faudrait l’évaluer à la prochaine campagne.

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a présenté à la fin de l’automne deux projets de loi plutôt techniques sur les données des patients, des médecins de famille et des prises de rendez-vous. Un autre doit suivre cet hiver. Pour l’instant, cela reste loin de la vaste « refondation » promise.

Que dit le rapport de la CSBE au juste ?

Je tente un résumé. En gros, que :

  • La santé publique a été sous-financée.
  • Le directeur national de santé publique devrait pouvoir communiquer de façon directe et indépendante avec le public.
  • Les CHSLD publics et conventionnés ont été sous-financés et sous-traitent des places au privé.
  • La hausse de la rémunération des médecins faisait en sorte que chaque année, il restait proportionnellement moins d’argent pour le reste du réseau.
  • Les données sont incomplètes et indisponibles.
  • L’allocation des ressources ne se fait pas en fonction des besoins des patients.
  • Les employés sont déplacés entre les unités, ce qui nuit à la qualité des soins et à leur motivation (lire : épuisement professionnel).
  • La capacité hospitalière est faible.
  • La « rigidité » corporatiste empêche la collaboration entre les médecins, les infirmières et les autres professionnels.
  • Le système est centré sur les besoins des médecins et des hôpitaux.
  • Le système souffre de son hypercentralisation.
  • La gestion ne se fait pas en fonction des résultats.

Mais n’est-ce pas semblable aux « contrats de performance » que proposait François Legault comme ministre péquiste de la Santé en 2002, quand il liait le financement à l’atteinte de certains indicateurs ?

Pas vraiment, répond la commissaire Castonguay. Je lui ai parlé vendredi. Tout dépend de la définition de « résultat ». Le système actuel est financé en fonction d’actes, comme le nombre d’opérations chirurgicales. Elle préconise de mesurer un type de résultat différent : l’effet sur la santé des patients pour vérifier si leur sort s’améliore.

C’est plus difficile à évaluer, reconnaît-elle. D’où l’importance de raffiner les données.

Mme Castonguay recommande également que l’État s’éloigne des opérations pour se concentrer sur son rôle de gestionnaire.

Je caricature. Si un patient meurt abandonné sur une civière, le lendemain à l’Assemblée nationale, le ministre sera jugé personnellement responsable. Il cherchera alors une solution rapide pour éviter les critiques. C’est une approche réactive et centralisatrice, une perpétuelle gestion de crise. La demande de commission d’enquête publique reproduit en quelque sorte cette quête de coupables.

Mieux vaudrait laisser les gens proches du terrain répondre de leurs actes, selon Mme Castonguay, ainsi que plusieurs rapports précédents.

Pour définir les grandes orientations, la commissaire propose de sortir de l’habituelle logique de confrontation entre syndicats et patrons, du jeu de donnant-donnant et des compromis arbitraires où le patient est confiné à un rôle de spectateur.

Voilà un vaste programme. Mais au moins, il ne requiert pas de modifier les structures.

Par où commencer ? Peut-être par une relecture du rapport ainsi que de ceux qui l’ont précédé. Puis on talonnera M. Legault pour savoir ce qu’il fera, de façon très concrète.

L’opposition pourrait le devancer en précisant quelles recommandations elle adopterait. Ce serait mieux que de laisser les caquistes se cacher derrière une autre commission d’enquête.