Un homme de 70 ans qui voue un culte sur internet à l’égard du tueur de Polytechnique a été arrêté jeudi soir par l'équipe de cyberenquête du SPVM, et accusé d’avoir fomenté de la haine à l’égard des femmes, a appris La Presse. Ses propos incendiaires étaient repris sur un forum «incel» qui fait régulièrement l’apologie des tueurs de masse qui ciblent des femmes.

Jean-Claude Rochefort, détenu depuis vendredi au centre de détention de Rivière-des-Prairies, avait déjà été arrêté en 2009 et incarcéré pendant plusieurs semaines pour avoir tenu un blogue quasiment identique. Sous le pseudonyme de Rick Flashman, il y qualifiait le tueur de polytechnique, Marc Lépine, de «héros populaire» qui méritait d’avoir sa journée commémorative. Il proposait aussi une recette pour «produire la tuerie idéale.» Le juge Claude Leblond, de la Cour du Québec, l’avait qualifié de «bombe à retardement».

Rochefort aurait repris la plume le 8 novembre dernier, sur trois différents blogues hébergés par Google. Toujours sous le pseudonyme de Rick Flashman, il a publié de nombreux photomontages violents, montrant des scènes de tueries imaginaires visant les femmes et plusieurs images misogynes, ainsi que du tueur de Polytechnique armé de pistolets et de fusils d’assaut.

COURTOISIE RADIO-CANADA

Jean-Claude Rochefort, interviewé par Radio-Canada il y a 10 ans.

Rochefort a comparu devant la juge Flavia Longo par visiococonférence peu avant 15h. Il s’est plaint d’avoir été arrêté en pleine nuit alors qu’il venait à peine de s’endormir. Il a demandé d’être remis en liberté pour pouvoir changer sa chemise et son pantalon et «être présentable » pour la suite des procédures judiciaires. «Les policiers m’ont arrêté alors que j’étais confus», s’est-il plaint, juste avant que la juge l’invite à garder le silence. La couronne s’est opposée à sa libération. Il devra passer le week-end en prison et repasser devant la cour pour son enquête pour remise en liberté mardi.  

Mandat international

Selon nos informations, les policiers du SPVM travaillaient depuis un certain temps pour obtenir un mandat obligeant Google à leur transmettre l’adresse IP du blogueur qui se cachait de nouveau derrière ce pseudonyme. La procédure exige l’obtention d’un mandat international, ce qui allonge considérablement les procédures.

Ils ont réussi à obtenir un mandat d’urgence jeudi, après que le suspect ait publié un billet dans lequel il encourageait ses lecteurs à polir «les fusils d’assaut et les flingues» pour fêter la «Saint-Marc Lépine». L’auteur disait avoir envoyé des «cartes d’invitation» et conviait notamment les antiféministes à le rejoindre pour célébrer le tueur de Polytechnique au campus principal de l’UQAM et dans différents bars montréalais.  

Les policiers ont alors fait une nouvelle demande à Google, soulignant la menace concrète et imminente. L’entreprise a alors accepté de fournir l’adresse IP du blogueur, ce qui a permis aux enquêteurs de relier le pseudo Rick Flashman au domicile de Rochefort. Son arrestation a eu lieu vers 3 heures du matin. Les policiers n’y ont trouvé aucune arme.  

Google n’avait pas encore répondu à notre demande d’entrevue au sujet de ces blogues et de la difficulté de les faire fermer, au moment d’écrire ces lignes.

«Célibataires involontaires»

Plusieurs des billets signés par Rick Flashman étaient repris intégralement sur un forum très consulté par les «incels», ces «célibataires involontaires» qui se regroupent sur internet pour proférer leur haine envers les femmes, a pu constater La Presse au cours des dernières semaines. Marc Lépine et d’autres tueurs de masse qui ont ciblé des femmes y sont abondamment décrits en termes glorieux.

«Ce type de forum est difficile à faire fermer, parce qu’ils sont souvent hébergés à l’extérieur du Québec, où le SPVM et la Sûreté du Québec n’ont pas nécessairement juridiction, souligne Jean-Philippe Décary-Mathieu, chef de la cybersécurité aux Commissionnaires du Québec.  En plus, on entre sur le terrain glissant de la liberté d’expression, et bien souvent, les suspects sont habiles avec les technologies et savent couvrir leurs traces.»

En 2009, les policiers avaient aussi eu de la difficulté à bloquer les publications violentes de Rochefort. Son blogue de l’époque avait cessé d’être alimenté le 4 décembre 2009, le jour de son arrestation pour menace de mort à l’endroit de femmes et possession illégale d’arme à feu. Rochefort n’a jamais reconnu en être l’auteur, même si les policiers ont retrouvé à l’époque chez lui une liste de pseudonymes et de mots de passe incluant ceux de Rick Flashman.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Jean-Claude Rochefort a été arrêté cette nuit à son domicile.

Dans les mois qui ont précédé son arrestation, des enquêteurs l’avaient rencontré à son domicile et lui avaient demandé, au moins deux fois, de cesser ses écrits violents et de ne plus publier des photomontages violents. Le site internet était sous surveillance par l’escouade de la cybercriminalité de la SQ.

Les policiers avaient fini par l’arrêter en découvrant qu’il possédait un pistolet enregistré au registre fédéral de l’époque. Les enquêteurs ont découvert le pistolet Walther P-38 au canon tronçonné dans un tiroir de cuisine, avec quatre chargeurs prohibés de huit balles. Aucune munition n’avait été trouvée à la suite d’une fouille du petit appartement de la 21e avenue que Rochefort habitait à l’époque à Montréal.  

«Appel à passer aux actes»

Le juge, qui avait évalué la pertinence de le libérer en attendant son procès, avait qualifié les propos de Rochefort d’«appel à passer aux actes». «Je vois une recette pour un massacre», avait dit le juge. L’avocat de Rochefort avait reconnu que les écrits de son client étaient «très troublants» et pouvaient être considérés «comme une menace», bien qu’ils n’évoquaient pas de «plan précis.»  

Après plusieurs semaines de détention, le suspect avait plaidé coupable à une accusation de possession illégale d’arme à feu, mais les accusations de menace de mort dirigées contre les femmes avaient été abandonnées. Il a fait 50 heures de travaux communautaires et la cour lui a interdit de posséder des armes à feu pour 10 ans. Cette interdiction est en principe encore valide jusqu’en mars 2021.

Des démarches avaient aussi été entreprises à l’époque auprès de Google pour faire bloquer son site, mais en vain. Google considérait que le blogue ne contenait aucune infraction à sa politique d’utilisation, avait à l’époque expliqué un enquêteur du SPVM au juge Gilles Cadieux, lors de l’enquête sur remise en liberté de Jean-Claude Rochefort.  

Le site haineux n’a jamais été effacé à ce jour et est toujours accessible sur le serveur de Google qui l’héberge.

Nouvelle approche

En 2009, la couronne avait contemplé la possibilité d’accuser Rochefort d’incitation publique à la haine, mais a abandonné l’idée après étude du dossier.

L’escouade du SPVM dédiée aux enquêtes de cette nature croit cette fois-ci pouvoir démontrer que Rocherfort ciblait clairement un «groupe identifiable» de personnes, en l’occurrence les femmes et les féministes, ce qui rend l’accusation d’avoir «fomenté la haine» possible.

En mars dernier, le SPVM a réussi à faire coffrer Alexandre Chebeir pendant quatre mois pour harcèlement criminel, après que ce dernier ait envoyé des photos de Marc Lépine à une administratrice du Réseau québécois en études féministes. Les messages privés de l’homme de 24 ans contenaient des messages comme «nous te vengerons Ô Marc Lépine» et «Un jour vous allez payer pour tout le mal que vous faites subir aux hommes!», ou encore le mot-clic #JeSuisMarcLépine.

Le juge Yves Paradis, qui a condamné Chebeir, avait déclaré que ses menaces constituaient «manifestement le résultat d’une haine à l’endroit des femmes».

Les enquêtes nécessaires pour déposer ce genre d’accusations demeurent toutefois complexes, note Jean-Philippe Décary-Mathieu. «Pour les corps policiers, c’est surtout une problématique d’effectifs. L’essentiel des ressources en cybercriminalité sont utilisées pour contrer la pédopornographie et le terrorisme», souligne-t-il.  

«Ce sont des enquêtes qui demandent une surveillance proactive et un travail d’analyse nécessitant beaucoup de personnel. Il faut souvent que la personne surveillée fasse une gaffe pour se faire pincer», estime le spécialiste en cybersécurité.