(San Francisco) Un site web qui encourage le public à dénoncer des avortements illégaux au Texas s’est vu notifier de son éviction par son hébergeur internet, une des mesures prises par des sociétés de la tech après l’entrée en vigueur d’une loi qui interdit la majorité des interruptions de grossesse dans cet État américain, même en cas d’inceste ou de viol.

Le site prolifewhistleblower.com a été mis en place par le groupe texan anti-avortement Right to Life (« droit à la vie ») pour récolter des « tuyaux » ou des dénonciations concernant des personnes et organisations qui aideraient une femme à se faire avorter dans cet État conservateur (un proche, un chauffeur Uber, un médecin…) après 6 semaines de grossesse.

Depuis mercredi, une loi y prévoit que ces plaignants perçoivent au moins 10 000 dollars de « dédommagement » en cas de condamnation, une « prime à la délation », selon ses détracteurs.  

Mais vendredi, un clic sur le bouton « tuyaux » du site web dirigeait l’utilisateur vers une page intitulée « Accès refusé-Pare-feu de GoDaddy ».

CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE PROLIFEWHISTLEBLOWER.COM

Le fournisseur de services en lignes GoDaddy a en effet informé jeudi le site qu’il enfreignait son règlement et qu’il avait « 24 heures pour changer d’hébergeur », d’après un porte-parole.

Les règles de GoDaddy stipulent que les utilisateurs ne peuvent pas collecter d’informations sur des personnes sans leur consentement.

« Nous ne serons pas réduits au silence », a assuré Kimberlyn Schwartz, directrice de la communication de Right to Life, sollicitée par l’AFP.

« Personne ne peut nous empêcher de sauver des vies. Nous n’avons pas peur. Nous ne reculerons pas. Notre équipe de techniciens a déjà entrepris le transfert vers un autre service et le site sera de nouveau opérationnel dans les 24-48 heures », a-t-elle précisé.

Des internautes, encouragés par des organisations de défense des droits humains, ont par ailleurs inondé le site web de fausses dénonciations. Sur les réseaux sociaux, comme TikTok et Instagram, des activistes font part de leurs efforts pour créer des robots qui bombardent le site de cette façon.

« En tant que femme au Texas »

Uber et Lyft, les deux leaders américains des réservations de voitures avec chauffeur, ont de leur côté annoncé vendredi qu’ils couvriraient les frais légaux des conducteurs, en cas de dénonciation contre eux dans le cadre de la nouvelle loi.

Bumble et Match group (Tinder, OkCupid..), dont les sièges se trouvent au Texas, vont créer des fonds de soutien. L’application de rencontres en ligne Bumble veut ainsi « soutenir les droits et des femmes et personnes qui veulent avorter au Texas », a tweeté mercredi l’entreprise fondée et dirigée par des femmes.

« Notre société ne prend d’ordinaire pas parti politiquement, à moins que cela ne concerne nos affaires. Mais dans ce cas, moi, personnellement, en tant que femme au Texas, je ne pouvais pas rester silencieuse », a écrit Shar Dubey, la patronne de Match, dans un mémo interne relayé sur Twitter.

« Tout le monde doit bien voir le danger posé par une loi aussi punitive et injuste que celle-ci, qui ne fait même pas d’exception pour les victimes de viol ou d’inceste. Je détesterais que notre État fasse un tel pas en arrière dans les droits des femmes », a-t-elle ajouté.

La loi entrée en vigueur mercredi interdit d’avorter dès que les battements de cœur de l’embryon sont détectés, soit à environ six semaines de grossesse, quand la plupart des femmes ignorent être enceintes. Seule l’urgence médicale justifie une exception.

Jusqu’à présent, les textes similaires d’autres États américains avaient été invalidés en justice, mais cette fois-ci la Cour suprême fédérale a refusé de bloquer la loi.

Selon la législation texane, il ne revient pas aux autorités de faire respecter la mesure, mais aux citoyens, encouragés à porter plainte au civil.

« La chose la plus pernicieuse […] est que cela crée une sorte de système de justiciers autoproclamés, avec des gens qui perçoivent des récompenses », a déploré le président américain Joe Biden à la presse à la Maison-Blanche vendredi.

« Cela semble ridicule, presque anti-Américain », a-t-il continué.