Ceux qui se demandaient jusqu’où la CAQ pousserait la partisanerie ont reçu un indice récemment.

Un indice qui montre que la réponse est : très loin.

Aussi loin qu’orienter la recherche scientifique en fonction d’intérêts partisans.

En 2022 ? Au moment même où François Legault s’érige en défenseur de la liberté universitaire ? C’est tellement gros que ça paraît impossible. C’est pourtant exactement ce qui se passe. Et ça doit être dénoncé haut et fort.

Sans tambour ni trompette, le gouvernement a lancé une initiative intitulée « Programme d’appui à la laïcité ». L’idée : offrir des bourses aux chercheurs qui veulent étudier la laïcité. Jusqu’ici, tout va bien.

Mais attention : la conclusion des recherches est télégraphiée. Parce que l’un des objectifs du programme est de « promouvoir le modèle québécois défini par la Loi sur la laïcité de l’État ».

Autre perle : dans les critères d’évaluation des demandes, on précise que le projet devra générer des « retombées positives pour le gouvernement du Québec et le Secrétariat ».

Le programme est géré par le Secrétariat à la réforme des institutions démocratiques, à l’accès à l’information et à la laïcité.

Consultez le programme

En clair, le gouvernement finance la recherche, mais seulement à condition que celle-ci valide ses orientations et lui rapporte des bénéfices.

« À partir du moment où on dit : le modèle décrit par la Loi sur la laïcité de l’État est celui qu’il faut promouvoir par un projet de recherche, on n’est plus dans la recherche libre. Ça devient de la recherche orientée idéologiquement, qui sert à mousser les intérêts partisans du gouvernement », dénonce Jocelyn Maclure, professeur de philosophie à l’Université McGill.

« On offre un financement de recherche qui est assorti d’une attente politique assez claire », analyse aussi Julien Prud’homme, professeur au département de sciences humaines à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Le programme n’est doté d’un budget annuel que de 100 000 $, mais l’affaire n’est quand même pas banale. La loi 21 sur l’interdiction des signes religieux pour les enseignants et autres représentants de l’État est un élément central du positionnement politique de la CAQ.

Qu’on soit d’accord ou non avec cette loi n’a toutefois rien à voir ici. C’est l’intrusion gouvernementale dans les orientations de la recherche qui doit nous inquiéter.

Une ingérence qui est d’autant plus ironique que dans la foulée de l’affaire Lieutenant-Duval à l’Université d’Ottawa et d’autres cas similaires, François Legault avait dit vouloir envoyer un « signal fort » pour protéger la liberté universitaire.

Avec ce programme de bourses, il fait exactement l’inverse.

Entendons-nous : il est parfaitement légitime que le gouvernement cherche à augmenter les connaissances sur certains enjeux. Et on peut certainement plaider qu’au moment où les différents modèles de laïcité font l’objet de débats au Québec, il y a un besoin d’en savoir plus sur cette question.

Mais il y a des façons de faire cela.

La meilleure est certainement de passer par les Fonds de recherche du Québec (FRQ), principal pourvoyeur de subventions de recherche dans la province. Les concours y sont encadrés. Ce sont des experts, et non des fonctionnaires, qui évaluent les propositions et décident à qui accorder le financement.

Les FRQ possèdent même un « programme d’actions concertées » qui vise justement à faire la lumière sur des problématiques importantes pour la société. Au cours des dernières années, différents ministères ont par exemple lancé des appels de propositions pour mieux comprendre la violence conjugale, le vieillissement de la population ou la persévérance scolaire. Une excellente façon d’arrimer la recherche aux besoins de la société.

Il n’est pas inhabituel que des ministères court-circuitent les FRQ pour financer directement des projets de recherche. Mais, de mémoire de chercheur, jamais n’avait-on vu une tentative aussi grossière d’influencer la recherche.

Ce n’est malheureusement pas la première fois que le gouvernement Legault franchit ainsi une ligne rouge en transportant des enjeux partisans sur des terrains où ils devraient être proscrits. On se souvient par exemple de l’insupportable politisation entourant le dévoilement, en octobre dernier, du nouveau cours de Culture et citoyenneté québécoise que tous les jeunes du primaire et du secondaire suivront dès 2023.

Le cursus scolaire et la recherche scientifique sont deux domaines où la partisanerie n’a pas sa place.

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