Un coup de feu accidentel causant la mort est au cœur de l’intrigue de Rust, un western dont on se souviendra surtout en raison d’un fait divers. À l’automne 2021, l’acteur et producteur Alec Baldwin a tué accidentellement la directrice de la photographie Halyna Hutchins, 42 ans. Il répétait une scène avec une arme qu’il croyait chargée à blanc, mais qui contenait de véritables balles. Triste ironie.
Rust, à l’affiche ce vendredi au Canada (mais pas au Québec), raconte l’histoire d’un orphelin de 13 ans, Lucas Hollister, qui, dans le Wyoming en 1882, tue accidentellement un homme en chassant un loup. Condamné à la pendaison, il réussira à s’évader grâce à son grand-père, un célèbre hors-la-loi du nom de Harland Rust (Baldwin, en caricature de lui-même).
Rust n’est pas un grand film, tant s’en faut. Western classique archiprévisible, avec ses archétypes et ses clichés. Une chasse à l’homme mettant en vedette un chasseur de primes sans foi ni loi qui se donne des airs de prédicateur ainsi qu’un shérif adjoint qui n’a peur de rien, sauf de la maladie qui afflige son enfant.
Sur fond de bagarres au saloon pendant que le pianiste joue du ragtime et que des jeunes femmes légèrement vêtues racolent des clients au bar, en espérant les attirer à l’étage.
Il y a dans Rust des fusils partout. On le remarque sans doute davantage quand on connaît l’envers du décor de ce village du Far West créé de toutes pièces pour le cinéma dans un ranch du Nouveau-Mexique.
Cinq jours avant la tragédie, plusieurs techniciens avaient décidé de quitter le tournage, craignant pour leur sécurité après deux décharges accidentelles d’armes à feu sur le plateau.
Le jour de l’accident qui a coûté la vie à l’Ukrainienne Halyna Hutchins – à qui Rust est dédié – et gravement blessé le cinéaste Joel Souza, le premier assistant-réalisateur Dave Halls, pourtant coordinateur de la sécurité sur le plateau, n’a pas vérifié le pistolet qu’il a remis à Alec Baldwin en lui disant qu’il était « froid » (c’est-à-dire chargé à blanc). Halls a plaidé coupable à une accusation d’utilisation négligente d’une arme létale, évitant une peine de prison.
La responsable des armes et des munitions sur le plateau, Hannah Gutierrez-Reed, a de son côté été condamnée à 18 mois de prison pour homicide involontaire. Rust était son deuxième film à titre d’armurière principale. Sur le premier film, The Old Way, l’acteur principal Nicolas Cage avait quitté le plateau lorsque l’armurière avait déchargé une arme à feu sans avertissement.

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Image tirée d’une scène du film Rust
Des balles réelles ont été trouvées au cours de l’enquête à différents endroits sur le plateau de Rust, notamment dans l’étui à pistolet de l’un des acteurs principaux, Jensen Ackles, qui a décidé de quitter la production après la mort d’Halyna Hutchins. Le film était alors à mi-parcours et ce n’est certainement pas de gaieté de cœur que Joel Souza a bouclé le tournage, 18 mois après le drame.
En entrevue au Guardian la semaine dernière, le scénariste et réalisateur de Rust a déclaré qu’il aurait souhaité « ne jamais avoir écrit ce maudit film ». Il a aussi dit « ne pas avoir de rapports » avec son acteur principal et producteur, Alec Baldwin. La balle tirée par Baldwin, qui a tué Halyna Hutchins, a atteint Souza à l’épaule.
La scène qu’Alec Baldwin répétait devant le cinéaste et la directrice de la photographie n’a évidemment pas été filmée. Rust n’en est pas moins un film maudit.
C’est sans doute plus facile à dire avec le recul, mais en voyant ce western, on se dit que ce n’était qu’une question de temps avant qu’une telle tragédie ne se reproduise. En 1993, l’acteur Brandon Lee avait péri pendant le tournage du film The Crow, dans des circonstances semblables.
Les Américains sont fous de leurs fusils. Selon un sondage du Pew Research Center réalisé en juillet dernier, environ 40 % des Étatsuniens disaient vivre dans une maison où il y a une arme à feu.
Cette culture, pour ne pas dire ce culte des armes à feu, se reflète forcément dans le cinéma américain. Il n’y a pas une semaine où je ne suis pas saisi par la violence et le jargon militaire qui pullulent dans les scénarios des films d’action hollywoodiens.
L’ennemi est à tant de klicks (kilomètres), un boguey approche sur la gauche. Même sans armée à affronter, les références sont militaires.
Une étude de l’Université de l’Arizona, publiée le mois dernier, a montré une corrélation entre une exposition accrue aux armes à feu au cinéma et une baisse de soutien au contrôle des armes à feu ainsi qu’à une conviction plus profonde que celles-ci rendent la société plus sûre.
La violence est omniprésente au cinéma américain et Rust ne fait bien sûr pas exception. Comme dans tous les westerns, on se tire dessus à qui mieux mieux. Un vieux fusil, passé de génération en génération, est au cœur du récit (qui met cependant en doute l’effet dissuasif de la peine de mort).
Plusieurs espéraient que la tragédie de Rust provoque non seulement une prise de conscience des dangers d’utiliser des armes à feu sur les plateaux de tournage, mais un réel changement des habitudes du cinéma américain. Ce changement n’aura manifestement pas lieu.
Bien des producteurs considèrent que la mort de Halyna Hutchins est un incident isolé qui rappelle l’importance des protocoles de sécurité. Mais du même souffle, ils plaident que les armes réelles sont plus réalistes et que les effets spéciaux, vers lesquels certains se tournent, coûtent plus cher.
Ce sont peut-être les compagnies d’assurances qui auront le dernier mot. Certaines refusent désormais d’assurer les tournages qui utilisent de vraies armes. Encore une fois, comme il est de coutume aux États-Unis, c’est l’argent qui dictera la marche à suivre.