Le jour où Joe Biden a tenu le premier grand rassemblement de sa campagne présidentielle, à un jet de pierre des fameuses marches de Rocky, à Philadelphie, tous les membres de son clan étaient présents. Tous, sauf son deuxième fils, Hunter.

La veille, le site conservateur Breitbart News avait révélé une histoire scabreuse à son sujet. Une pipe de crack avait été retrouvée dans une voiture qu’il avait louée à la fin d’octobre 2016, de même qu’un portefeuille contenant un permis de conduire et des cartes de crédit à son nom. Des résidus de cocaïne avaient également été découverts sur l’accoudoir du véhicule abandonné durant la nuit dans un stationnement de la société Hertz à Prescott, en Arizona, selon un rapport de police.

Hunter Biden n’avait pas été inculpé dans cette affaire, la police disant n’avoir pu relever la moindre empreinte sur la pipe de crack. Mais les révélations de Breitbart News l’ont convaincu, le 18 mai dernier, de laisser vide la chaise qu’il devait occuper aux côtés de ses trois filles.

Hunter ne voulait pas, par sa présence, nuire à la campagne de son père, a-t-il plus tard expliqué à un journaliste du New Yorker. Ce jour-là, il a peut-être vu juste. Mais ses affaires passées, en Ukraine et en Chine notamment, ont rattrapé son père. En tentant de les exploiter, Donald Trump a créé une crise qui pourrait l’affaiblir lui-même ou même l’emporter. Mais Joe Biden pourrait également en sortir meurtri, et pas seulement en tant que candidat.

Dans son plus récent livre, Promise Me, Dad, l’ancien vice-président revient sur la dernière année de vie de son premier fils, Beau, foudroyé par un cancer en 2015. À côté de ce frère modèle, vétéran de l’Irak, procureur et politicien prometteur, Hunter y est confiné à un rôle de figurant.

Le voici désormais à l’avant-scène.

Théories et réalité

Hunter Biden, aujourd’hui âgé de 49 ans, n’en est pas à sa première controverse, peu s’en faut. À peine sorti de la faculté de droit de Yale, le fils du sénateur du Delaware se voyait offrir, par une société de portefeuille de l’État, un poste assorti d’une prime de signature et d’un salaire annuel de plus de 100 000 $.

Il n’était certes pas le premier rejeton de parents influents à décrocher un bon emploi. « Mais le cas de Biden est troublant », soulignait un journaliste conservateur en 1998. « Après tout, voilà un sénateur qui ne cesse de sermonner contre l’influence de l’argent en politique. »

En 2014, Hunter Biden semble de nouveau avoir profité de son patronyme ou de la position de son père pour s’enrichir. Cette année-là, Burisma, société gazière ukrainienne, a commencé à lui verser 50 000 $ par mois pour siéger au sein de son conseil. Personne ne l’a accusé d’avoir enfreint la loi. Mais il a placé son père dans une drôle de position. En 2015 et en 2016, au nom de la lutte contre la corruption, Joe Biden a réclamé le départ du procureur général de l’Ukraine, Viktor Shokin. Pour mémoire : de 2010 à 2012, Burisma avait déjà elle-même fait l’objet d’une enquête pour corruption.

Aujourd’hui, Donald Trump et son avocat personnel, Rudolph Giuliani, accusent Joe Biden d’avoir demandé et obtenu le départ de Shokin afin de protéger Burisma et son fils. L’accusation, populaire auprès des théoriciens du complot américains, est infondée.

L’ancien vice-président, faut-il le rappeler, ne défendait pas une position personnelle dans ce dossier, mais celle de l’administration Obama et de plusieurs gouvernements européens et institutions internationales. Qui plus est, le départ de Shokin risquait d’augmenter les risques qu’une enquête sur Burisma et son propriétaire, Mykola Zlochevsky, soit relancée après avoir été abandonnée.

Détail important : lors de son audition devant les enquêteurs de la Chambre des représentants la semaine dernière, Kurt Volker, ancien envoyé spécial de l’administration Trump auprès de l’Ukraine, a défendu la probité de Joe Biden. « Je connais l’ancien vice-président depuis 24 ans, et l’idée qu’il ait été influencé dans ses responsabilités de vice-président par les intérêts financiers de son fils n’a aucune crédibilité à mes yeux », a-t-il dit.

Une rencontre en Chine

N’empêche : Joe Biden semble parfois faire preuve d’aveuglement volontaire en ce qui concerne son fils Hunter. Autre exemple : en décembre 2013, il lui a permis de l’accompagner lors d’un voyage officiel en Chine. Hunter a profité de l’occasion pour présenter son père à Jonathan Li, un partenaire d’affaires chinois, dans le lobby de l’hôtel où se trouvait la délégation américaine. Il a décrit cette rencontre comme une simple courtoisie. Mais certains conseillers de l’ancien vice-président se sont inquiétés des apparences d’une telle introduction au pays des « guanxi » (réseaux de relations).

Hunter Biden était à l’époque un membre bénévole du conseil de BHR Partners, nouveau fonds d’investissement dont Jonathan Li était sur le point de prendre la direction. Plusieurs jours après le voyage des Biden en Chine, BHR Partners a obtenu du gouvernement chinois une licence d’exploitation. Selon un article paru dans le Wall Street Journal en 2014, le fonds avait pour objectif d’amasser en Chine 1,5 milliard de dollars pour investir dans des projets à l’extérieur de ce pays.

Trois ans plus tard, Hunter Biden a pris une participation de 10 % dans BHR Partners grâce à un investissement de 420 000 $. Cette somme laisse croire que la valeur du fonds s’élevait alors à environ 4,2 millions de dollars.

Mais Donald Trump se fiche royalement de ces modestes sommes. La semaine dernière, en appelant la Chine à enquêter sur les Biden, il a déclaré ceci au sujet du fils de l’ancien vice-président : « Il venait d’être viré de la Navy et soudainement, il récolte des milliards de dollars [en Chine]. Vous savez comment on appelle ça ? On appelle ça un pot-de-vin. »

Si l’allusion aux « milliards de dollars » est complètement fausse, celle à la Navy, en revanche, est à moitié vraie : Hunter Biden s’est fait virer de son unité de réserve après qu’on a découvert de la cocaïne dans son urine, un exemple parmi d’autres de ses problèmes de dépendance – à l’alcool et à la drogue.

Mais c’était en 2014, pas en 2013. Et c’était avant qu’il se mette en couple, brièvement, avec la veuve de son frère Beau, sujet que Donald Trump ou Rudy Giuliani finiront peut-être par soulever dans leur campagne de diffamation incessante contre Joe Biden.

Ci-gît une théorie du complot

Parmi toutes les théories du complot que Donald Trump a empruntées à Alex Jones et aux sites les moins réputés de l’internet, celle impliquant CrowdStrike est la plus hallucinante. La théorie veut que cette firme de cybersécurité américaine ait conspiré avec l’Ukraine pour pirater les serveurs informatiques du Parti démocrate en 2016 et attribuer l’opération à la Russie. Elle veut également que le « serveur » du Parti démocrate se trouve en Ukraine.

Lors de sa conversation téléphonique du 25 juillet dernier avec son homologue ukrainien, le président américain lui a demandé une « faveur » en enquêtant sur cette théorie discréditée par le rapport de Robert Mueller sur l’affaire russe et de nombreux membres de son administration, dont Thomas Bossert. Jusqu’en 2018, ce dernier a été l’adjoint du président pour la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

« Cette théorie du complot doit disparaître, ils doivent arrêter avec cela, ils ne peuvent pas continuer de la propager », a déclaré Bossert, dimanche dernier, sur ABC.