Il se décrit comme un simple citoyen qui « pose des questions dérangeantes » aux élus de Saint-Constant. Dans sa mission, Michel Vachon a pris en filature des fonctionnaires et attaqué sauvagement la greffière de la Ville en pleine rue. La municipalité, à bout de recours judiciaires contre lui, implore l’aide de Québec.

Nancy Trottier ouvre son sac à main et montre la petite bombonne rose fluo qu’elle trimballe partout depuis des mois : « Ça, c’est du poivre de cayenne, que je garde juste au cas où M. Vachon essaie de s’en prendre à moi. Je connais sa date de péremption par cœur. Et croyez-moi, je vais la changer aussitôt qu’elle expire », promet la petite mais énergique directrice générale de Saint-Constant, sur la Rive-Sud de Montréal.

En compagnie du maire Jean-Claude Boyer, elle assistait lundi dernier à une troisième requête plaidée par la municipalité en Cour supérieure depuis le 18 octobre, pour renouveler de 10 jours en 10 jours une ordonnance interdisant au citoyen Michel Vachon de se présenter aux édifices municipaux de Saint-Constant et d’assister aux séances du conseil municipal.

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Nancy Trottier, directrice générale de Saint-Constant, montre à notre photographe la bombonne de gaz poivre qu’elle porte sur elle au cas où Michel Vachon l’attaquerait.

L’homme de 62 ans, au gabarit assez imposant, a été condamné trois fois depuis 2019 pour des voies de fait contre des employés et des élus, puis condamné deux fois pour outrages au tribunal en raison de son obstination à ne pas respecter des ordonnances de la cour lui interdisant de harceler et d’intimider les gens de la Ville.

On ne sait pas où ça va s’arrêter. On est confrontés à un homme qui n’a rien à perdre.

Jean-Claude Boyer, maire de Saint-Constant

Le 17 octobre, il a envoyé une lettre au gouvernement Legault, réclamant une rencontre urgente avec les ministres de la Justice, Simon Jolin-Barrette, de la Sécurité publique, François Bonnardel, et des Affaires municipales, Andrée Laforest, pour discuter du cas de ce « fou furieux ».

Le cabinet du ministre de la Sécurité publique indique qu’une rencontre aura lieu « rapidement » avec la municipalité pour aborder la question, mais aucune date n’est fixée pour l’instant.

L’affaire a coûté à ce jour plus de 400 000 $ en frais judiciaires à la municipalité, affirme le maire dans sa lettre.

Son devoir de citoyen

« Ça fait six ans que mon droit fondamental d’assister au conseil [municipal] est brimé », se plaint M. Vachon, qui se représente seul devant les tribunaux. « C’est épouvantable, ce qu’ils me font vivre. Ils sont rendus 16 conseillers et fonctionnaires contre moi, parce que je pose des questions qui dérangent. »

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Jean-Claude Boyer, maire de Saint-Constant

Depuis 32 ans, Michel Vachon habite une maison modeste située à quelques pas de l’hôtel de ville de Saint-Constant. Depuis 2010, il se fait un devoir d’assister aux affaires de la Cité. Après avoir subi un échec en se présentant lui-même à la mairie en 2013 (il n’a reçu que 49 voix), il est parti en guerre contre le nouveau maire Jean-Claude Boyer.

« Fraudeurs ! »

« Crapules ! »

« Corrompus ! »

Lors des séances du conseil municipal, M. Vachon pose ses questions avec un long préambule éditorial faisant un « procès d’intention » aux élus. Il plante son regard sur les fonctionnaires, qu’il fixe « longuement de manière obsessive et haineuse », indique un jugement de cour rendu en 2019.

Il demande parallèlement des montagnes de documents (plus de 380 depuis 2010) par l’entremise de la loi sur l’accès à l’information, ce qui demande des heures de travail à tous les services de l’hôtel de ville. Même si ses demandes sont jugées abusives par la Commission d’accès à l’information, M. Vachon continue de prétendre que les élus ont « fomenté » pour cacher aux citoyens des documents cruciaux.

Filatures et insultes sur la voie publique

En 2017, la situation dérape. Selon un résumé des évènements fait par la juge Katheryne Desfossés, M. Vachon prend en filature la greffière, MSophie Laflamme, à vélo, sur plusieurs centaines de mètres, dans les rues de la ville. Il est alors accusé de harcèlement criminel, mais acquitté par la justice.

Il continue malgré tout de passer des heures chaque semaine à l’hôtel de ville, au point où un concitoyen l’appelle « Monsieur le Maire » à la blague. Les employés sont aux aguets, mal à l’aise, résume la juge Desfossés. Une aide-greffière, que M. Vachon a suivie et insultée sur la voie publique, développe un trouble d’adaptation situationnel avec anxiété sévère, et part pendant un an en arrêt de travail.

Une séance de brasse-camarade finit par éclater au conseil municipal en septembre 2019. M. Vachon est condamné pour voie de fait, mais jouit d’une absolution conditionnelle, qui lui interdit de harceler les élus et employés.

Un « remède inédit » refusé par la justice

La Ville s’adresse alors à la Cour supérieure pour obtenir un « remède inédit », prévu par les tribunaux pour contrôler les plaideurs vexatoires : interdire à Michel Vachon de se présenter aux séances du conseil et le contraindre à poser ses questions uniquement par courriel.

« Le Tribunal veut croire, à ce stade, que M. Vachon se pliera aux ordonnances », tranche la juge Chantal Masse, qui rejette la demande, mais ordonne, une fois de plus, à M. Vachon de cesser de « formuler des menaces » et de « suivre délibérément » les fonctionnaires dans les rues de la ville.

Rien n’y fait. Le comportement de M. Vachon reprend de plus belle.

En décembre 2019, selon un jugement qui le condamne pour huit outrages au tribunal, M. Vachon intimide et dévisage la greffière Sophie Laflamme en l’attendant à côté de sa voiture, dans le stationnement d’un commerce. En mars 2020, il relève la plaque d’immatriculation d’une autre employée de la Ville, et lui transmet un courriel dans lequel il lui précise qu’il connaît l’heure habituelle à laquelle elle quitte l’hôtel de ville.

« As-tu peur de moi ? »

Quelques jours plus tard, dans le stationnement d’un commerce, il déboule en trombe avec son vélo vers une employée de la Ville et lui demande d’un ton colérique : « As-tu peur ? As-tu peur de moi ? Tu arrêtes de passer devant chez nous ! Passe ailleurs ! C’est la dernière fois que je t’avertis. »

« J’étais fâché », se justifie M. Vachon en entrevue avec La Presse la semaine dernière, soutenant que les fonctionnaires se sont « parjurées » en inventant plusieurs allégations à son sujet.

« Le comportement de M. Vachon dépasse largement ce qui est civilement acceptable », conclut en septembre 2021 la juge Katheryne Desfossés, qui lui interdit d’assister aux instances de la Ville pendant un an. Mais dans la foulée, « afin de préserver le droit de monsieur Vachon d’assister aux séances du conseil », elle ordonne à la Ville de Saint-Constant d’enregistrer les réunions, de les rendre disponibles pour M. Vachon dans un délai de sept jours, de prendre ses questions par courriel et d’y répondre lors de l’enregistrement des séances, dans la mesure où elles sont recevables.

Pour la Ville de Saint-Constant, cette solution n’est qu’un « fragile diachylon » qui exacerbe les frustrations de M. Vachon.

Attaque violente contre la greffière

En février 2022, il attaque violemment MLaflamme en pleine rue, lui fonçant dessus avec son vélo, le poing brandi vers son visage, et la projette dans la neige à deux reprises.

M. Vachon passe une trentaine de jours en prison dans l’attente de son procès pour voie de fait.

La Ville, plaidant son devoir d’assurer à ses employés un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique, obtient de la Cour une ordonnance pour faire évaluer M. Vachon dans un hôpital psychiatrique, où il demeure pendant une vingtaine de jours.

Il refuse de révéler le diagnostic que lui ont donné les psychiatres. « C’est un diagnostic qu’ils ont donné arbitrairement, juste pour avoir quelque chose à dire », prétend M. Vachon en entrevue avec La Presse.

« Je vais reprendre mes droits »

Puis le 7 septembre dernier, M. Vachon écrit à la Régie intermunicipale de police Roussillon pour l’avertir qu’il entend « reprendre [ses] droits » et se présenter de nouveau à l’hôtel de ville, maintenant que l’ordonnance d’un an lui interdisant de le fréquenter a pris fin. « Afin de les acclimater, je vais graduellement circuler occasionnellement dans le stationnement public de l’hôtel de ville comme j’ai toujours fait », annonce-t-il aux policiers.

À bout de recours, la Ville de Saint-Constant tente maintenant de faire interdire de façon permanente l’accès à l’hôtel de ville à Michel Vachon, mais doit pour l’instant renouveler sa demande de 10 jours en 10 jours.

« De nombreux élus et fonctionnaires ont exprimé qu’ils refuseraient catégoriquement de devoir à nouveau supporter la présence de cet agresseur au sein des édifices municipaux, écrit le maire, dans le cri du cœur qu’il a adressé en octobre au gouvernement Legault. La ville pourrait bientôt être complètement paralysée si la lumière n’apparaît pas bientôt au bout du tunnel dans ce dossier. »

« Le système de justice doit être ajusté à cette nouvelle réalité », plaide M. Boyer.

Un fonds d’aide et des pouvoirs d’exclusion réclamés

Confrontée à un cas de harcèlement qualifié d’« extrême » par l’Union des municipalités du Québec (UMQ), la Ville de Saint-Constant demande au gouvernement de créer un fonds spécial pour aider les villes à intenter des recours contre des citoyens dont le comportement dépasse les bornes.

La Ville a dû présenter sa volumineuse preuve à pas moins de 15 juges différents de la Cour du Québec, de la Cour supérieure, de la Cour d’appel et de tribunaux administratifs, pour arriver à bloquer temporairement la participation du citoyen Michel Vachon à ses instances. « Tout fonctionne en vase clos. La Cour criminelle ne parle pas à la Cour civile. C’est extrêmement lourd et dispendieux. Je pense que ça pourrait être autrement », déplore le maire Jean-Claude Boyer, en entrevue avec La Presse.

« Il y a des villes qui ne pourront jamais se défendre. Il pourrait arriver des choses tragiques parce que des municipalités, qui n’ont pas les ressources nécessaires, n’auront pas pu entreprendre les recours appropriés », ajoute-t-il.

Saint-Constant réclame aussi des pouvoirs accrus pour tenir plus facilement les citoyens menaçants à l’écart des instances municipales.

« À l’Assemblée nationale, ça fait longtemps qu’il [M. Vachon] aurait été exclu et qu’il n’aurait plus le droit d’assister aux délibérations s’il avait agressé et menacé un député », souligne pour sa part la greffière de la Ville de Saint-Constant, MSophie Laflamme, qui se dit « terrorisée » à la suite de l’attaque qu’elle a subie en pleine rue.

« Dans notre cas, si la Ville ne va pas en cour, je vais être obligée de tenir les séances avec lui à quelques mètres de moi », s’inquiète la greffière.

Tristan Péloquin, La Presse

Climat toxique et incivilités

La ville de Saint-Constant n’est pas la seule au Québec à composer avec un climat toxique lié au comportement de certains citoyens.

Abercorn, Cantons-de-l’Est

Au cours de l’été, six citoyens de ce village de 350 habitants ont été arrêtés pour des gestes s’apparentant à de l’intimidation visant le maire et d’autres élus. Aucune accusation n’a été portée après enquête, mais trois conseillers et le maire ont démissionné, citant « l’incivilité, le harcèlement, l’intimidation [et] le non-respect d’autrui [qui] règnent à l’hôtel de ville ».

Lac-Beauport, Capitale-Nationale

Le résidant Marc Puyau a été condamné en février 2022 à deux semaines d’emprisonnement (qui ont été suspendues par le juge) et 2500 $ d’amende pour avoir contrevenu à plusieurs reprises à des jugements lui interdisant de menacer des élus. « La situation est tellement grave qu’on impose des sanctions de nature criminelle aux gens qui ne veulent pas comprendre que c’est un vrai problème », a indiqué à TVA l’avocat Pier-Olivier Fradette, qui représente aussi Saint-Constant dans l’affaire l’opposant à Michel Vachon.

Thetford Mines, Chaudière-Appalaches

En février 2022, la police de la municipalité a arrêté un homme bien connu de ses services pour harcèlement criminel, après qu’il eut publié sur les réseaux sociaux des propos menaçants envers les élus, qui les faisaient craindre pour leur sécurité.