Le métier, les médias, la salle de rédaction de La Presse, et vous.

C’était assez affligeant de parcourir les réseaux sociaux la semaine dernière au moment où le secteur des médias de Québecor était frappé, tristement, par des centaines de licenciements.

Je ne reproduirai pas ici ni le nom ni les réactions des plus crinqués, pour ne pas leur faire cet honneur, mais ils hurlaient en chœur : « ils le méritent » et « ils l’ont cherché », car « plus personne n’a confiance, donc plus personne ne les lit »…

Je suis bien désolé, mais rien à voir. Mais alors là, pas du tout, car il n’y a pas trace de chute du lectorat quand on regarde l’ensemble des plateformes, tant en papier qu’en numérique.

Selon les chiffres officiels, 85 % de la population adulte consultait des médias écrits chaque semaine en 2012.

Et 10 ans plus tard, après la pandémie, les fake news, Donald Trump et toutes les prétendues menaces à la crédibilité des journalistes, le taux était de… 86 %.

Donc si ce n’est la disparition des lecteurs, qu’est-ce qui explique les difficultés de Québecor, Postmedia, Métro et autres ?

En bonne partie, c’est le papier.

On dirait qu’on ne veut pas trop se demander si le bon vieux journal a encore de l’avenir, peut-être par crainte de la réponse. Mais le contexte laisse place à bien peu d’espoir, soyons honnêtes.

Voyez la fin de l’édition dominicale du Journal de Montréal et de celle de son cousin de Québec, qui marque carrément la disparition de tout quotidien papier le dimanche dans la province.

Voyez la fin de l’impression à Québec du Journal de Québec, maintenant produit dans le Grand Montréal.

Voyez la fin de l’édition du lundi du Montreal Gazette et des autres quotidiens de Postmedia, ainsi que la disparition de nombreux postes.

Voyez la baisse du tirage du Devoir.

Voyez aussi la fin, en 2020, de l’édition de semaine du Soleil et des cinq autres quotidiens des Coops de l’information.

Et voyez ce qui se passe un peu partout en Occident, aux États-Unis, en France et ailleurs. L’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias a récemment conclu qu’au rythme de disparition des quotidiens français en papier, il n’y en aura à peu près plus dans quatre ans.

On voit là une marche qui semble inéluctable vers la fin d’un modèle d’affaires qui tient de moins en moins.

C’est d’ailleurs ce qu’a avoué du bout des lèvres le patron de Québecor, Pierre Karl Péladeau, il y a quelques jours. Lorsque Paul Arcand lui a demandé si la télé conventionnelle allait finir par disparaître, il a tout de suite fait un lien avec le papier.

« Vous avez déjà demandé si les journaux allaient disparaître. C’est sûr qu’il y a une évolution majeure de l’ensemble des médias traditionnels, nous sommes dans cette activité. Est-ce que nous essayons de les faire évoluer sur d’autres supports ? Certainement. »

Le problème, ce n’est pas que les Québécois ne veulent plus lire leurs nouvelles sur papier. Il reste encore des amoureux du journal, quoique l’attrait du numérique soit indéniable.

Le problème, il se trouve surtout du côté des colonnes de chiffres.

Il se trouve en effet dans les coûts de la distribution, qui demeurent élevés même lorsque le nombre d’exemplaires à livrer baisse.

Il se trouve dans les coûts du papier, qui explosent eux aussi en raison d’un marché contrôlé par une poignée de grands acteurs.

Il se trouve dans les baisses des revenus provenant du tirage.

Et il se trouve dans le désintérêt des annonceurs pour le format papier. Il y en a encore puisqu’il y a encore des lecteurs, mais leur présence peine de plus en plus à compenser les hausses de coûts que subissent les éditeurs de journaux.

Voyez d’ailleurs les résultats financiers publiés ces derniers jours par Québecor : on y déplore des revenus en baisse. La raison ? « La diminution des revenus publicitaires provenant des chaînes spécialisées, du Réseau TVA et des journaux. »

Pourquoi les annonceurs sont-ils moins au rendez-vous qu’à l’époque où les éditions papier étaient des vaches à lait ? Parce qu’ils ont d’abord fui vers les géants du web, puis ils se sont habitués aux données que procure la publicité numérique.

Aujourd’hui, ils préfèrent être publiés sur le web, le mobile et la tablette, car ils ont ainsi accès à une mesure précise de la performance de leurs annonces, souvent en temps réel.

Donc les grandes entreprises médiatiques du pays (dont La Presse) ont certainement raison de montrer du doigt les géants du web, qui ont accaparé l’écrasante majorité de leurs revenus publicitaires ces dernières décennies.

Elles ont raison d’exiger avec impatience une intervention gouvernementale d’Ottawa afin de forcer les monopoles que forment Google et Facebook à négocier d’égal à égal avec l’ensemble des médias écrits.

Mais cela n’empêchera fort probablement pas la nécessité d’une transition numérique des activités papier pour la plupart des médias écrits au pays. Une transition qui sera peut-être douloureuse, mais qui permettra que la mission d’information de chacun se poursuive, peu importe le support.

Écrivez à François Cardinal